Impliqué aujourd'hui dans des projets culturels avec l'Afrique, Oualid Khelifi, un Constantinois de 29 ans, a parcouru bien des pays avant de se tourner vers son continent. Une passion et un engagement qu'il s'est découvert grâce à un voyage initiatique en Amérique du Sud. Quatre jours de bivouac à marcher entre les grottes et les cascades, à contresens du courant. Seul, Oualid n'aurait jamais pu s'aventurer dans le plus grand canyon du Brésil, dans le parc national de la Chapada Diamantira. «Mais j'ai pu le faire avec l'aide des jeunes d'un village qui ont accepté de m'y emmener sans me demander d'argent», raconte-t-il, encore ému. Il a fait le clown pour les enfants du Kosovo, traversé le Vietnam en vélo, échappé aux balles des militaires lors d'un soulèvement populaire au Sénégal… mais du tour du monde qu'il a fait à seulement 24 ans, Oualid Khelifi (qui en a aujourd'hui 29) est revenu marqué à jamais par son expérience en Amérique du Sud. Tout a commencé en Grande-Bretagne. A Bristol, où il a suivi ses études pendant six ans et décroché un ingéniorat en mathématiques appliquées –Oualid, classé 12e au bac, a obtenu une bourse pour partir en Angleterre. Après le décès de sa mère, enseignante universitaire, en 2007, ses amis sud-américains se cotisent pour lui payer un voyage. «Ils ont vu que je passais des moments difficiles après la mort de ma mère et malgré le fait qu'ils avaient peu d'argent, ils m'ont aidé à faire ce voyage qui a changé ma vie», se souvient Oualid. Du Chili, il garde des souvenirs inoubliables : dans une auberge à Valparaiso, la ville natale de Salvador Allende (ex-président du Chili assassiné par Augusto Pinochet), le patron, qui n'avait jamais reçu d'Algériens, invite les étudiants du coin et organise l'anniversaire de Oualid à son insu. Touché par les gens, Oualid se souvient de Mauro, jeune Argentin, éleveur de chevaux, qui l'embauche dans une île au nord du Brésil. «C'est Mauro qui m'a initié à monter à cheval. J'ai appris de lui, la patience et l'amour des gens et de la nature. J'avais du mal à me séparer de sa ferme et du nord du pays. Je savais pertinemment que j'aurais du mal à le revoir, lui, qui n'utilise aucun moyen de communication moderne», regrette-t-il. Trois ans plus tard, alors qu'il se trouvait dans un parc à l'ouest de Londres, Oualid est attiré par le comportement bizarre d'un homme en train de faire son footing torse nu, dans un froid glacial. «Il s'est retourné vers moi et je l'ai reconnu ! Mon ami Mauro, en chair et en os, dans la ville de l'ombre. C'était l'un des plus beaux moments de ma vie», se souvient-il avec émotion. Evo Moralès «Ce qui m'a marqué au Chili, c'est le niveau de conscience et la mobilisation des habitants. Chez eux, la lutte est quotidienne. Je me souviens que les étudiants ont occupé toute la ville à cause d'une hausse de 10% du prix du transport public !», raconte-t-il. Il se fait inviter par ces mêmes étudiants et participe à une manifestation anti-sommet euro-latino-américain du patronat. L'armée encadre la ville. Des émeutes éclatent. Oualid, pris entre les balles des militaires et les bombes lacrymogènes des services de l'ordre, se fait aider par deux Argentins qui le portent sur leur mobylette pour le déposer à l'université républicaine où des milliers de manifestants organisaient un rassemblement de résistance. «Ils sont venus de toute l'Amérique latine. Des militants anti-impérialistes m'ont expliqué qu'ils organisent des actions de ce genre sur tout le continent américain.» Oualid part ensuite à la découverte du plus grand désert de sel en Bolivie, le Salar Uyuni, où tout est construit à base de sel, jusqu'aux tables dans les maisons. Il se rend à Oruro, village du premier président indigène bolivien, Evo Morales, après des siècles de colonisation espagnole. Puis voyage jusqu'au lac le plus élevé au monde, Lago Titicala (3812 m) et ses deux îles, l'île de la lune et celle du soleil. Il rencontre un groupe de voyageurs et militants avec qui il traverse la Carretera de Muerta (descente de 80 km, appelée la route de la mort, ndlr). «Ils se déplaçaient d'un village à un autre. Ils enseignaient et aidaient les villageois dans toutes leur tâches quotidiennes en échange de nourriture et d'hébergement», explique-t-il encore. Avec pour seule indication le nom d'un propriétaire de bar-restaurant sur une île, Morro de Sao Paolo, Oualid part au Brésil. «Pour préserver la nature, les gens refusaient de construire des routes dans cette île paradisiaque !» Oualid travaille pendant des mois en échange d'un toit et de nourriture. A Bahia, il fait la connaissance d'étudiants en art avec qui il passe plusieurs semaines. Dans un garage de mécanicien, il fait ses premiers pas dans le théâtre. Cap Vert La découverte de l'Amérique du Sud lui donne l'envie de découvrir d'autres continents. Mais le chemin du retour à Constantine est plus compliqué que prévu. Au Chili, un chef d'escale, qui le soupçonnait d'avoir falsifié son passeport, le place en garde à vue pendant trois jours. Menotté, il est transféré en Argentine où il est incarcéré dans la banlieue de Buenos Aires, puis au Brésil, où un juge le relâche et lui accorde trois mois de visa. «En Amérique latine, j'ai vu des mouvements et des cultures qui appartiennent au peuple et non aux bureaucrates, ce qui n'est pas le cas chez nous en Algérie, analyse-t-il. Ils sont pauvres mais sont heureux de vivre, ils ne forment qu'un seul peuple. Contrairement aux Africains. Sans doute parce que notre image de l'Afrique noire est tirée des chaînes télé occidentales qui nous ont bourré les têtes avec des clichés, comme la famine et les maladies. Nous sommes racistes et xénophobes.» A travers des projets culturels (il est l'un des fondateurs du collectif Afreekyama, un projet de photojournalistes africains), Oualid a décidé de contribuer «au processus de décolonisation de l'imaginaire» : il s'investit désormais dans son continent, en particulier au Ghana et au Cap Vert.