L'Amérique en développement, qui a bouleversé sa configuration politique par voie démocratique, ambitionne de remettre au goût du jour le tiers-mondisme. C'est ce qui explique, en partie, le chassé-croisé de ses diplomates à Alger, considéré par ces pays incontournable. D'abord, pour son passé de fer de lance dans le mouvement tiers-mondiste, ensuite, pour les rôles qu'il se réapproprie progressivement sur la scène internationale. Cuba, hôte d'un sommet des non-alignés en automne, compte sur la participation du président Bouteflika. Le vaste pré-carré américain dans ce continent s'est réduit comme une peau de chagrin. Après le Venezuela, l'Argentine, l'Uruguay et le Chili, la Bolivie a viré à gauche, rejoignant, ne serait-ce qu'au niveau symbolique, Cuba la rebelle. Et, ailleurs dans le continent, les derniers élèves du néolibéralisme se font violence pour desserrer l'étau américain. L'Equateur, pointe avancée de l'ultralibéralisme, affecte, depuis une année, ses recettes non plus au remboursement de ses dettes détenues par les Etats-Unis mais aux investissements publics ! Depuis la prestation de serment en Bolivie, début 2006, de Evo Morales, l'ex- porte-parole des Indiens cocaïcéros (producteurs de coca), Bush sait que les carottes sont cuites pour les Etats-Unis leur propre voisinage. La perte est d'autant plus considérable qu'il y figurent deux grands émergeants, le Brésil et l'Argentine, et un important producteur de pétrole, le Venezuela. C'est, d'ailleurs, ce pays qui a amorcé le mouvement “anti-Yankees” en décembre 1998, en portant à sa tête Hugo Chavez, le fougueux promoteur d'une révolution bolivarienne, laquelle, entre autres, a permis à Cuba de rester fidèle à elle-même, de tenir face à son puissant ennemi, les Etats-Unis. Inâcio da Silva, l'ex-dirigeant ouvrier devenu président du Brésil, Nestor Kirchner, le plus à gauche des péronistes, président de l'Argentine, Tabaré Vasquez de l'Uruguay, auparavant “Suisse de l'Amérique latine”, la nouvelle présidente du Chili, une socialiste dans la lignée d'Allende, assassiné par Pinochet grâce à l'appui de la CIA, le retour des sandinistes au Nicaragua, Vicente fox au Mexique, pour n'ajouter à la liste que ces exemples, refusent de se plier aux injonctions de Washington. Tant et si bien que Bush lui-même devait publiquement reconnaître au Mexique, devant ses pairs de la région, qu'il avait conscience de son “impopularité” dans le continent ! Pourtant, Washington n'a pas lésiné sur ses moyens de pressions, faisant jouer ses relations bilatérales, dont les alliances stratégiques entre le Pentagone et les armées de ces pays, mais aussi le FMI, la Banque mondiale, l'OMC et les traités régionaux qui ont établi le libre échangisme. Mais, la financialisation de l'économie et le démantèlement des grandes entreprises publiques, pour le grand bien des groupes américains, l'abandon des politiques sociales et la concentration des richesses entre les mains d'oligarchies avec la précipitation de plus de la moitié de la population dans la pauvreté et la prolétarisation des classes moyennes ont fini par jeter le discrédit sur “le grand frère américain”, mettant également à nue son prétexte de lutte contre le snarcoterrorisme. Après avoir découvert n'être sortis de l'ère des dictatures militaires que pour sombrer dans celle des réformes liberticides imposées, fusse au nom de la démocratie, les Latino-Américains ont utilisé les urnes pour retourner leur situation. Le phénomène a fait boule de neige et, dans le continent, on parle, de nouveau, de solidarité et de coopération à mener de paire, entre ses propres pays et avec le reste du tiers-monde. C'est, d'ailleurs, grâce à ce continent si l'avancée dévastatrice de l'OMC a été bloquée à Hongkong en décembre 2005. Bush en est revenu bredouille, lui qui tablait sur l'acceptation des derniers chapitres de son cahier des charges qui devaient tout livrer au libre échangisme. Aux yeux de Chavez, la Zlea (zone de libre échange des Amériques) est enterrée. Bush, qui a piqué un coup de colère lorsque ses pairs de l'Organisation des Etats des Amériques (OEA) avaient refusé de le suivre dans sa tentative de mettre dans le box des accusés, à l'ONU, Fidel Castro, au motif que Cuba viole les droits de l'homme, doit maintenant s'attendre au pire. Chavez n'en finit pas de lui faire boire la tasse, alors que le Venezuela reste le principal fournisseur de pétrole de l'économie américaine et le tout nouveau Morales menace de récupérer ses hydrocarbures, au nom “du droit de propriété de la Bolivie sur son sous-sol et en surface”. Les deux présidents disent ne pas faire plus que mettre en pratique le principe “de patriotisme économique” en vigueur aux Etats-Unis et dont Bush s'est servi récemment pour barrer la route à des richissimes de Bahreïn, désireux d'acquérir six ports de la côte est des Etats-Unis offerts à la vente par un groupe britannique. D. Bouatta