Si les images exposées par Françoise Saur ont aujourd'hui valeur documentaire, cela doit beaucoup au hasard et à la force de l'instantané que livre l'appareil photo, saisie du temps arrêté. Au début, explique-t-elle à El Watan, ce voyage n'était pas à proprement parler un «safari» photo. Elle voulait revoir le pays de sa naissance : «C'était peut-être pour retrouver des racines. J'avais vécu petite en Algérie au moment de la guerre et on ne pouvait pas se déplacer dans le pays à cette époque. J'avais envie de voyager, de connaître ce pays. Mon premier retour, c'est surtout ça. Comme j'étais étudiante en photographie, j'ai pris mon appareil Leica, mais pour mon tout premier voyage, l'important c'était la rencontre avec les gens et l'appareil photo était plutôt un obstacle.» En fait, pour elle, tout est dans une certaine continuité : «J'avais commencé un journal photo très jeune, comme on fait des journaux écrits. Je prenais des images de tout ce qui faisait ma vie, et lors de mon voyage en Algérie j'ai photographié comme on prendrait des notes.» Les années 1970, c'est le temps du socialisme «spécifique» qui paraît si vieux aujourd'hui, ou même n'avoir jamais existé, et les banderoles qui s'accrochent aux édifices publics avec des mots d'ordre de mobilisation. «A ce moment-là, explique-t-elle, les déplacements étaient faciles. J'avais des amis coopérants et on voyageait librement en Algérie. On prenait les bus, on marchait à pied, on faisait du stop comme de partout dans le monde.» Ce n'était plus le cas lors de sa deuxième séquence de voyage : «J'avais essayé d'y retourner à la fin des années 1980, et là la situation devenait délicate en Algérie. J'y suis allée dès que c'était de nouveau possible et, en réalité, les photos qui sont les plus en miroir avec les premières, ce sont certainement celles que j'ai faites en 2004. Dans les années 1970, les voyages c'était surtout dans la campagne, dans les années 2000 plutôt dans les villes. Je n'ai pas cherché les différences entre ces deux époques, j'ai seulement photographié ce que je voyais. J'étais dans l'enthousiasme de la découverte des régions d'Algérie et d'échanger avec les Algériens. C'est comme un crayon et un carnet de croquis, l'appareil». Puis vint la cerise sur le gâteau. Une association féministe française lui propose de partir dans le Gourara pour une série de photos : «C'était le rêve. La série est faite de façon ethnologique. Celle qui m'a beaucoup impressionnée, que j'avais rencontrée au sortir de mes études, c'est Germaine Tillon. Je suis restée trois mois là, dans le Gourara, avec le temps de comprendre ce qui se passe, de m'intégrer. C'était un travail d'imprégnation, avec un œil presque d'ethnologue.» Le résultat est un beau livre, Femmes du Gourara, paru cette année aux éditions Médiapop. Pour elle, finalement au bout de ses expériences, ce qu'elle en retient, c'est l'Algérie : «Le pays où on a passé son enfance, on y est toujours très attaché, toujours, et je n'avais qu'une envie, c'est de le connaître, bien que j'aie beaucoup de souvenirs de la guerre et d'horreurs dans tous les sens, mais c'est un pays que j'ai beaucoup aimé.» Avec encore beaucoup d'envie d'y retourner.