Le statu quo au sommet de l'Etat perdure, figeant le pays dans une posture pour le moins dangereuse, selon plusieurs analystes. Les derniers développements politiques font, par ailleurs, croire que les équilibres sont rompus au sein du régime, prenant en otage une société dont les cris d'alarme butent contre l'autisme du pouvoir. Le violent accrochage politique entre la leader du Parti des travailleurs (PT) et l'inénarrable secrétaire général de l'ex-parti unique révèle-t-il une crise larvée au sein du pouvoir ? Trahit-il une rupture dans le sérail ? C'est du moins ce que suggère la sortie politique de Louisa Hanoune décrétant que Bouteflika «n'a pas tenu ses engagements» qui a provoqué une levée de boucliers dans l'entourage du clan présidentiel. La réplique ne s'est pas fait attendre. Amar Saadani est placé en première ligne du front pour défendre «l'oligarchie», visiblement tétanisée par les violentes charges assénées par la secrétaire générale du PT. Amar Ghoul et même le patron de la centrale syndicale, Adelmadjid Sidi Saïd, pourtant «camarade» avec Mme Hanoune, ont été rameutés pour voler au secours d'un clan pris de panique. C'est dire que la prise de position – prise de distance – de la secrétaire générale du PT à l'égard du Président laisse croire à un climat de tension qui règne au sein du pouvoir et des bisbilles entre ses différentes composantes. La trêve est rompue, rendant difficiles des prises de décisions qui devaient intervenir au lendemain de la présidentielle. Force est de relever que près d'une année après sa reconduction au palais d'El Mouradia, Bouteflika n'a pas pu mettre le pays sur la voie de la réforme politique comme il s'était engagé à le faire. La panne paralysante qui frappe l'Etat, exposant le pays à des risques multiples, illustre l'incapacité de son gouvernement à diriger les affaires. C'est devenu une force de blocage. A l'ombre d'un Président malade, des groupes informels aux influences politiques et économiques considérables fourmillent. Le quatrième mandat obtenu à la faveur d'âpres tractations entre les différents centres de décision n'a servi qu'à renforcer, en définitive, le statu quo qui s'avère de plus en plus menaçant pour l'Etat et la société. L'alliance fragile forgée dans l'urgence de la présidentielle est-elle alors en train de voler en éclats ? La sortie de Louisa Hanoune, tout comme les tirs groupés qu'elle essuie, font apparaître au grand jour des «désaccords profonds» entre les pôles du pouvoir sur la marche à suivre, à en croire un ancien chef de gouvernement. La révision de la Constitution, plusieurs fois annoncée imminente, est ajournée, d'autant que les consultations n'ont pas suscité un grand intérêt chez la majorité de la classe politique. Un remaniement gouvernemental, qui devait intervenir courant janvier, a également été reporté pour raison d'absence d'accord sur des postes stratégiques. Et face à l'urgence d'un changement de système de gouvernance formulé et porté par l'opposition dans le cadre de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD), le pouvoir oppose un refus catégorique Même la très conciliante proposition du FFS pour une «conférence nationale du consensus» est mise en échec par les partis du pouvoir après l'avoir favorablement accueillie dans un premier temps. Les «3 B» en désaccord ? Le pouvoir ne s'est-il pas finalement pris à son propre piège en imposant un choix passéiste? L'opposition, dans ses différentes tendances, évoque constamment une vacance du pouvoir qui a pour conséquence un délitement de l'Etat. «Au sommet de l'Etat, les manœuvres et les rivalités sont inséparables des fins de règne. Le doute et même la panique gagnent les clans du pouvoir et accentuent leurs divisions. La question de la succession est à l'ordre du jour», résume l'opposant historique Ali Yahia Abdennour. Mais si la question de la succession est fortement posée, il reste que les trois hommes forts du régime, «le président Bouteflika, les généraux de corps d'armée Gaïd Salah et Mohamed Mediène qui portent le fardeau pour sortir le pays de la crise», pour revenir à l'appel de Mouloud Hamrouche, n'ont pas, pour le moment du moins, envoyé des signes d'ouverture et de volonté d'amorcer un processus de sortie de crise. Les signaux sont plutôt alarmants et le conflit – supposé ou réel – se règle par populations interposées. La protestation des policiers, la mise sur orbite des figures qui rappellent la sinistre période des années 1990, la gestion violente du mouvement opposé au gaz de schiste sont autant d'indicateurs d'un pourrissement au sommet, alors que des foyers de tensions se multiplient. Le chef de file des réformateurs, qui avait jugé inutile de «perturber» l'élection présidentielle, estimant que l'essentiel était l'après-17 avril, a convié les trois hommes à assumer leurs responsabilités historiques, auquel cas ils seraient comptables devant l'histoire. «Il est clair qu'on a besoin de ces trois hommes, on a besoin de leur dire qu'ils seront responsables demain s'il arrive quelque chose. Ce sont eux qui porteront le responsabilité devant l'histoire», avait-il prévenu. Ces trois personnages aux pouvoirs considérables «peinent à forger un consensus interne» pour préparer les successions, susurre-t-on. Un désaccord semble reprendre le dessus, d'où «l'incapacité des décideurs à préparer l'avenir. Les arbitrages sont négatifs et chacun est retourné dans son territoire», confie un connaisseur des arcanes du pouvoir. C'est tout le système Bouteflika qui est en panne et le pays se trouve ainsi enfoncé dans une impasse politique périlleuse.