Quatre-vingt-huit mille trois cents. Ce n'est pas un score électoral imputé à la porte-parole du PT, c'est plutôt le chiffre qui sort si on s'amuse à « googueliser » le nom de Louisa Hanoune. La leader charismatique du PT a même sa bio sur Wikipedia, l'encyclopédie en ligne, et elle a sa page Facebook (pour peu que ce ne soit pas un usurpateur ou une usurpatrice). En tout cas, une chose est sûre : Louisa Hanoune est solidement ancrée dans le paysage politique algérien. Elle fascine, elle dérange, elle déroute, elle agace, elle séduit, elle énerve mais ne laisse jamais indifférent. En témoignent les réactions suscitées par son alliance avec Ouyahia. C'est un peu son « actu » en ce moment : les sénatoriales et leur lot de manœuvres politiciennes dont les subtilités échappent parfois au commun des (é)lecteurs. Une école de gauche Femme de caractère, Louisa Hanoune se distingue avant tout par son verbe tranchant. Abdelaziz Belkhadem décoche-t-il une pique à l'adresse du PT et du RND et la « pasionaria » de l'opposition de répliquer : « Le SG du FLN cultive l'hégémonie, à l'image des autorités égyptiennes, en soutenant que sa formation est oum el ahzab » (lire l'Expression d'hier). Le parcours militant de Louisa Hanoune est largement honorable. Fait hautement symbolique : la trotskiste la plus populaire du pays a ouvert les yeux sur la guerre de Libération nationale, elle qui est née en 1954. La maison familiale, plantée à Chekfa, petit village de la campagne jijélienne, subit les foudres de l'armée coloniale. C'est ainsi que sa famille s'installe à Annaba. La jeune Louisa y suit dès lors sa scolarité et parvient à décrocher son baccalauréat de haute main avant de s'inscrire en études de droit à l'université de Annaba. La bonne oratrice qu'elle est devenue a ainsi fait ses classes dans les amphis houleux de la fac de droit de Annaba. Etant de sensibilité de gauche, affichant clairement ses penchants trotskistes, elle adhère à l'Organisation socialiste des travailleurs (OST) dont elle intègre vite la direction. Son activisme lui coûtera six mois de prison quand elle se voit condamnée par la Cour de sûreté de l'Etat de sinistre mémoire pour activités subversives. Après Octobre 1988, elle fonde le Parti des travailleurs (PT) avec d'autres militants de sa mouvance. Durant les années 1990, elle tient un discours favorable aux islamistes, si bien qu'elle est saluée par les plus irréductibles du FIS. Elle s'est surtout opposée à l'arrêt du processus électoral et paraphe le Contrat national de janvier 1995. Au plus fort du terrorisme, Louisa Hanoune n'aura de cesse d'appeler à une solution politique de la crise. Etape forte de sa fulgurante ascension politique : la présidentielle du 8 avril 2004. Ambition présidentielle Née un 7 avril, Louisa Hanoune se présente en candidate au lendemain de son 50e anniversaire. Un véritable bain de jouvence, même si elle n'est créditée que de 100 000 voix. Un chiffre qui sera multiplié par six cinq ans plus tard. Car, prenant goût à l'exercice, elle « récidive » et sera l'un des rares candidats de l'opposition à prendre part à la présidentielle de 2009. Même si arithmétiquement, sa participation est plutôt symbolique, elle décroche néanmoins le statut de première femme du monde arabe à briguer le poste de président de la République, ce qui lui vaut les compliments de Bouteflika himself. Certains considèrent que la « lune de miel » entre Louisa Hanoune et le pouvoir date de là. Du reste, beaucoup lui ont reproché d'avoir cautionné une énième élection bidon, en parlant surtout de l'élection de 2009. Celle-ci était d'autant plus sujette à caution qu'elle était précédée d'un « tripatouillage constitutionnel » que Louisa Hanoune a béni. Elle n'en a cure. Et sa popularité est allée crescendo, elle qui s'est forgée la réputation d'une femme qui n'a pas froid aux yeux, qui défend les travailleurs, le pouvoir d'achat, l'économie étatique, laissant songeurs les nostalgiques des « souks el fellah » et des sociétés nationales. Au final, elle aura ainsi réussi le tour de force de diluer l'extrême-gauche dans le conglomérat islamo-conservateur dominant. Petit bémol : ces dernières années, il faut bien l'admettre, l'image de Louisa Hanoune est quelque peu égratignée, donnant le sentiment d'une opposante plus proche du pouvoir que de son « camp naturel ». Ainsi, son soutien à la réconciliation nationale, au troisième mandat de Bouteflika ou encore à la LFC d'Ouyahia. Il est vrai que la porte-parole du PT s'est toujours montrée prompte à saluer toute mesure du gouvernement allant dans le sens du patriotisme économique, un de ses fervents leitmotiv. Ce qui explique sa campagne contre les « ultra libéraux » de l'Exécutif, Abdelhamid Temmar et Chakib Khelil en tête. On se souvient particulièrement de sa croisade contre la loi sur les hydrocarbures, dont l'abrogation doit beaucoup aux diatribes de Louisa Hanoune. Enigmatique alliance Les dernières décisions du gouvernement Ouyahia expliqueraient dans une large mesure le rapprochement tactique PT-RND alors qu'aux sénatoriales de 2006, la formation de Louisa Hanoune avait choisi de faire alliance avec le FLN. Les observateurs peu au fait des arcanes du jeu électoral ne décryptent pas toujours ces choix et ce qui les sous-tend. Certains vont jusqu'à lui faire le grief d'avoir servi d'alibi à Bouteflika à plus d'une occasion et d'avoir « tourné sa veste », comme ils l'avaient rudement reproché à Khalida Messaoudi avant elle, l'autre pasionaria déchue du landerneau politique algérien. A sa décharge, nous devons reconnaître que Louisa Hanoune n'a fait qu'agir en femme politique, autrement dit, en acteur motivé avant tout par des problématiques de pouvoir. Si Louisa Hanoune se garde toujours d'entrer au gouvernement, elle ne nie pas pour autant son ambition d'occuper du terrain encore et encore, avec une appétence et un désir de conquête de plus en plus féroces. Son alliance avec le RND n'est que l'autre expression de ce froid pragmatisme. Louisa Hanoune déroute, agace, dérange, déçoit… On peut tout lui reprocher, sauf de vouloir faire de la politique en professionnelle de la politique. Dans tous les cas, elle semble gagnée par un froid réalisme : la certitude que le système est plus têtu que le temps, plus tenace que la grippe porcine et qu'à ce train, il ne reste que deux choix : la révolution ou Club des Pins…