La loi sur la paix et la réconciliation finit comme elle a commencé, c'est-à-dire dans la polémique et les contradictions. Quel bilan les autorités vont-elles donc tirer au soir du 31 août, à l'expiration du délai de grâce accordé aux irréductibles éléments du GSPC et du GIA pour faire leurs adieux aux armes ? Cette politique adoptée au forceps par des Algériens éplorés par la décennie noire, notamment les familles victimes du terrorisme, n'a pas eu l'effet miraculeux d'un pays définitivement pacifié par la seule magie du pardon, fût-il massif. Si l'on s'en tient au bilan chiffré de cette loi, on se rend vite compte que la moisson est largement en deçà des espérances de ceux qui ont glissé dans la douleur leur bulletin dans l'urne fatale du 29 septembre. Sur les 700 terroristes encore en activité, selon les estimations des autorités, seuls 250 à 300 individus armés se sont effectivement repentis durant les six derniers mois, soit juste le tiers de l'effectif global des terroristes supposé encore en activité dans les maquis. Politiquement, ce résultat traduit un échec cuisant de la réconciliation qui n'a pas pu capter l'intérêt des terroristes ni réussi à dompter leur instinct monstrueux, malgré toutes les largesses offertes sur un plateau. Militairement, force est de constater que la capacité de nuisance des groupes armés est inversement proportionnelle à la supposée réduction de leur nombre grâce, notamment, aux différentes opérations menées par les forces de l'ANP. La recrudescence des massacres collectifs (Blida), la multiplication des attentats à la bombe (Boumerdès) et la réapparition des faux barrages sanglants ces derniers mois ont replongé le pays dans la psychose et l'incertitude. Les Algériens auraient sans doute voulu en finir avec la mort et les larmes même au prix du sang des leurs qu'ils ont consenti, certes dans la douleur, à offrir en sacrifice pour tourner la page. Mais tout compte fait, les opposants à la réconciliation qui l'ont estampillée par l'expression peu glorieuse de « paix des braves », semblent avoir eu raison. La magnanimité du pouvoir a été sauvagement repoussée par les terroristes à coup de massacres, d'égorgements et d'assassinats tout au long des six longs mois. A l'arrivée, la démarche du président Bouteflika aura réussi l'incroyable prouesse de contrarier et les terroristes et les victimes ! Alors que ces dernières avaient tôt fait de crier à la trahison en s'opposant corps et âme à pardonner aux tueurs d'hier, anoblis aujourd'hui par décret, les groupes armés, eux, l'ont rejetée globalement et dans le détail estimant qu'elle ne satisfaisait pas leurs exigences. Il est tout de même significatif de noter le revirement spectaculaire de Hassan Hattab, ancien émir du GSPC, qui, après avoir donné au départ son onction à la « moussalaha », s'en démarque à moins de dix jours de la fin du délai de grâce… Pourquoi donc cette politique n'a pas réussi là où la concorde avait échoué six années plus tôt ? Pourtant, Bouteflika a fait preuve d'une extrême générosité à l'égard des groupes armés au point de froisser terriblement les familles des victimes qui ont brandi, à juste titre, le slogan de « prime à l'impunité ». Le message est clair : les irréductibles n'ont pas renoncé à leur projet politique qui ne pourrait se suffire à leurs yeux d'une réhabilitation sociale. Les terroristes sont peut-être convaincus que le président Bouteflika peut éventuellement donner plus qu'il n'en a consenti jusque-là même s'il a déjà soutenu que les dispositions de la réconciliation sont le résultat de ce que « permettaient les équilibres ». Comprendre au sein du pouvoir. Que va-t-il donc se passer après le 31 août ? Bouteflika va-t-il lancer la vraie bataille contre les dernières poches terroristes ou alors tendra-t-il une autre main de clémence à ceux qui excellent dans la surenchère ? La révélation de Belkhadem depuis Béjaïa selon laquelle « la réconciliation nationale n'a pas de délai », renseigne que les autorités ne sont pas prêtes à abattre la main lourde de l'Etat. Certes, les forces de l'ANP ont déjà lancé les premiers assauts qui ont essuyé une terrible riposte. Mais rien ne dit que, parallèlement, la porte ne sera pas laissée ouverte comme le suggère le patron du FLN aux éventuels repentis de la 25e heure. Cette façon de faire qui consiste à prendre le bâton par le milieu en tirant des dividendes politiques par l'engagement de l'armée sur le terrain et amadouer dans le même temps les terroristes en ouvrant aussi longtemps que possible la porte du pardon, pèche à l'évidence par son incohérence. A moins que toute cette stratégie n'obéisse à un calcul politique qui va au-delà de la date butoir du 31 août... En tout cas, la réconciliation nationale se présente aujourd'hui comme un échec recommencé de la concorde civile. A quelques sacrifices de trop.