Le 8 mars, Journée internationale des droits de la femme, est l'occasion pour des associations et des militantes d'évaluer leurs luttes, même si la plupart estiment qu'elles doivent observer une halte et faire leur bilan. Les luttes pour la protection des droits de la femme en Algérie ne se sont jamais inscrites en marge de l'évolution de cette thématique dans le monde. Anticipant ou réagissant à des conjonctures, le mouvement féministe algérien a pu faire évoluer la question durant les trois dernières décennies. Qu'en est-il aujourd'hui ?La sociologue et auteure de Algérie, pause dans les mobilisations féministes ? Feriel Lalami, estime que «le mouvement féministe a pour objet la lutte contre les discriminations dont les femmes sont victimes. C'est dire que le champ des activités et le travail à accomplir sont immenses. Les mutations de la société algérienne font de cette demande une nécessité. Entre des perceptions figées et les lois d'une part, et les évolutions dans les domaines économiques, de l'éducation et de la famille d'autre part, il y a un décalage». Elle explique que «depuis les années 1980 au cours desquelles les associations se sont affirmées par les luttes, en particulier contre le code de la famille, des avancées ont été constatées. Si l'on prend justement le code de la famille, il a fallu plus de vingt-cinq ans d'actions collectives pour que quelques timides modifications lui soient apportées». A l'heure actuelle, Feriel Lalami observe que «la lutte contre les violences faites aux femmes commence à porter ses fruits après vingt années de dénonciation de cette hogra (injustice) : sanction du harcèlement sexuel au travail en 2004 et tout récemment la loi adoptée par l'APN qui pénalise les violences conjugales et dans les lieux publics, bien que des restrictions viennent en limiter la portée, en particulier la fin des poursuites en cas de retrait de la plainte par la victime». Dans le même sillage, la sociologue constate que «les associations de femmes qui composent le mouvement féministe algérien font beaucoup avec peu de moyens. La plupart tentent d'aider les femmes en situations sociales extrêmes dans les démarches judiciaires complexes et coûteuses et en même temps de jouer leur rôle d'alerter l'opinion et les décideurs». Critiques objectives Pour sa part, la militante pour les droits de la femme, Nassima Hanifi, a un autre avis. Totalisant plus de 20 ans de lutte dans ce domaine, elle pense que «le mouvement pour la lutte des droits de la femme a régressé en Algérie». «Même durant les années 1990, nous étions plus efficaces», compare-t-elle. Mme Hanifi indique que «le mouvement a baissé les bras sur le terrain. La plupart des associations sont devenues des façades. Elles se contentent de dénoncer des lois, mais le contact avec les femmes défavorisées et en détresse n'existe presque plus. La femme rurale est quasiment oubliée. Le mouvement féministe s'est embourgeoisé, du moment qu'il a quitté le terrain de la revendication. Les bailleurs de fonds y sont pour quelque chose. Il est bien d'organiser des séminaires et des formations, c'est toujours positif. Mais ce n'est jamais suffisant. Des associations préfèrent le confort au détriment du travail de proximité. Ceci sans oublier le sentiment de fatigue et de résignation qui a touché beaucoup de militantes. Car elles ont l'impression que personne ne peut résister à ce système qui parvient à diviser». Sur ce dernier point, Mme Lalami souligne que «la conjoncture politique ne facilite pas les mobilisations collectives. La loi sur les associations promulguée en 2012 entrave sévèrement leurs activités, les mettant trop facilement sous le risque d'une interdiction administrative». Et de poursuivre : «Un climat politique fait de méfiance et de la peur de la récupération politique peut rendre ardue la rencontre entre luttes sociales et politiques d'un côté et luttes féministes de l'autre. C'est la conjonction entre les luttes pour les droits des femmes stricto sensu et l'ensemble des autres luttes qui est difficile à réaliser pour le féminisme algérien.» Néanmoins, la sociologue considère positivement la continuité de la lutte : «Les femmes sont très actives. Nous avons, en ce moment même, la formidable mobilisation des femmes d'In Salah qui affrontent la répression et le poids des traditions pour défendre le bien le plus précieux, l'eau, contre la pollution par l'exploitation du gaz de schiste.» Pour sa part, Atika Belha, militante de la jeune génération, reste «perplexe» : «J'ai l'impression qu'au niveau du mouvement des femmes et de leurs droits, beaucoup de choses sont faites, alors qu'au niveau de la société, ça stagne. Nous ne sommes pas assez nombreuses à nous mobiliser. Nous peinons vraiment à faire entendre notre message aux femmes. D'ailleurs, le mot féminisme choque.» La question qui se pose pour Atika est «comment faire pour que les femmes comprennent que nous sommes de leur côté ?» «C'est une lutte tellement subversive et nous n'en sommes qu'au tout début», juge-t-elle.