Quand je t'ai connu, Mourad, je venais juste d'achever mes études universitaires dans les années 60. Tu étais déjà au ministère de l'Education, quand je t'ai rejoint dans le nouveau service qui venait de t'être confié. Je me souviens avec émotion qu'au premier contact, le fil de sympathie s'est noué. Un accueil chaleureux, simple et direct. Tu savais que j'étais normalien comme toi et cela a été un point de liaison de plus entre nous. Je venais de l'Ouest et tu ne cessais de t'intéresser à ma région, de me poser tant de questions sur la vie oranaise et Aïn Témouchent, ma ville natale. Je me suis senti tout de suite en compagnie d'un frère. Je n'étais point un «barani», loin de chez moi. Tu as ouvert grande la porte de ta maison aux miens avec le geste de la noble tradition de chez nous. Et cela m'a ému pour toujours. C'est ainsi que j'ai aussi appris de toi l'histoire des tiens, celle de la Kabylie, la grande et la petite, que tu connaissais avec finesse, de Guenzet, des Aït Yaâla, des Gaïd et surtout celle qui m'a marqué le plus, l'héroïne tante Malika tombée sur le champ de bataille à 24 ans. Quand tu as publié l'Ange de lumière, j'étais hélas loin du pays. L'Algérie de ces années-là était notre maison commune et la Révolution de Novembre, notre inspiration pour l'avenir. Tu le disais haut et fort. Nous y mettions toutes nos énergies pour que cette Algérie meurtrie, laissée pour compte, avance, pour qu'elle vole bien haut dans le ciel de la modernité avec les ailes que nous lui donnions. Tu en donnais l'exemple. Au ministère de l'Education comme au secrétariat d'Etat au Plan, nos compétences, nos engagements et nos résultats ne souffraient d'aucune faille. Le temps ne nous était pas compté. Tu veillais avec conscience sur tout cela. Deux plans quadriennaux furent réalisés jusqu'au bout malgré tous les aléas. Nous visitions toutes les wilayas du pays à la veille de chaque rentrée scolaire. Tu impulsais le mouvement. Qu'on en juge, les enjeux et les défis à relever à une époque où les moyens n'étaient pas ceux d'aujourd'hui : plus de 4000 salles de classes primaires et quelque 200 collèges et lycées par an, incluant la formation de tout le personnel des inspections académiques (directions de wilaya) en coopération avec le PNUD et l'Unesco. Te rappelle-tu la préparation du second pan quadriennal, lorsque le vice-président de la Banque mondiale avait déclaré devant nos plus hauts dirigeants : «Notre mission a fait le tour du Moyen-Orient et nous venons du Maroc avant de repartir à Washington. Le plan d'éducation algérien qui nous a été remis est le meilleur de tout ce que nous avons vu ailleurs.» Nous étions fiers dans notre coin et tu nous disais : «On fera encore mieux la prochaine fois .» Nous rêvions de construire notre jeune République «démocratique et populaire», sans concession ni marchandage. Et nous transformions, parfois, nos réunions de travail en réunions de prospectives pour l'an 2000 ! Tu étais au centre des débats. C'était hier. Voilà, cher frère Mourad à quoi tu as contribué, avec abnégation. Tu as fait partie de cette génération de cadres sans peur et sans reproche qui ne distinguaient pas de ligne de démarcation entre collègues et amis, entre engagement et honnêteté, entre citoyenneté et modernité, entre progrès et justice sociale. Ton sens patriotique, ta transparence, ta simplicité et ta sensibilité vis-à-vis de l'autre, sont les valeurs qui t'ont toujours, à chaque pas, guidé. Les valeurs qui font les hommes de conviction. J'ai voulu pour ma part, en guise d'hommage, apporter mon modeste témoignage, lever le voile sur une partie de notre histoire oubliée et sur des hommes comme toi, qui ont fait en toute simplicité leur devoir, dans la dignité du citoyen qui a chéri son pays et y a apporté avec courage, sans recul et sans doute, sa pierre d'édification. «Seul est grand celui qui transforme le vent en un chant que son amour aura rendu plus doux». (Khalil Gibran).