Pousser un âne mort n'est pas évident. Le faire avec un âne bien portant est une toute autre affaire. Notre confrère Chawki Amari a fait le test. Il a tenté de pousser un âne mort, et il n'a pas réussi. Il a été dans un marché à bestiaux et a fait de même avec un âne, tout ce qu'il y a de vivant, la découverte a été grande ! «Il poussait, je poussais puis je me suis rendu compte qu'il n'était pas lourd comme l'âne mort». «Il faut rendre hommage à l'âne, c'est une race pure. Les ânes font des ânes», dit, sans un rictus, Chawki Amari à un public qui en rit. Nous sommes sur les planches du Théâtre régional de Béjaïa, pas pour une pièce théâtrale mais pour un Café littéraire. Pour discuter littérature, autour du dernier roman de l'invité, L'Âne mort. Un roman «dépressif» de l'avis, ironique, même de son auteur qui «conseille de ne pas le lire». Il est en tout cas un hommage à L'Âne d'or d'Afulay de M'daourouch (Apulée de Madaure), premier romancier du monde, un Algérien qui se revendiquait amazigh. Mais parce que la littérature ne fonctionne plus, l'écrivain chroniqueur a, en tout cas, bien des choses à dire. Biologiquement, on n'est pas très loin des ânes, on se ressemble dans l'entêtement. Il y a dans le propos, comme dans le mot, de Chawki Amari, plus que de l'humour, de la dérision, de l'ironie. Pousser un âne mort est dans le jargon populaire significatif d'une entreprise vaine et surtout absurde. L'Algérie est un pays très complexe et l'âne mort est lié à cette complexité. Nous sommes comme désincarnés, explique, sérieusement, l'écrivain qui se détache du chroniqueur. Dans la littérature, j'essaye de sonder l'âme humaine, dans la chronique je suis plus dans le présent, ajoute-t-il, invitant à ne pas voir dans L'Âne mort de sujet politique mais métaphysique. Un récit fictionnel en tout cas plein d'humour, qui raconte l'aventure de trois personnages algérois qui roulent en direction des hauteurs de la Kabylie à bord d'une voiture qui transporte un âne mort dans le coffre. Comme dans tous les Cafés littéraires précédents, on débattra plus de politique que de littérature. «Les élites intellectuelles n'ont jamais fait l'histoire en Algérie. Si en 1954, on avait attendu les intellectuels on n'aurait pas eu notre indépendance», considère l'auteur de Faiseur de trous, pour qui tant que les religieux travaillent pour les gouvernements et n'accompagnent pas les luttes sociales on ne s'en sortira jamais. Mais il relève qu'aujourd'hui la religion, qui rampe sur la société avec ses interdits, «est partout, même dans la sexualité». Cela ne l'empêchera pas de penser que «la laïcité ça ne marche pas. Y a-t-il de l'espoir ? Oui, tant qu'il y a des pizzerias et de la mayonnaise !» plaisante-t-il, comme un ironiste chronique.