Quatre mois après l'inauguration, quels sont vos points forts et sur quoi l'usine que vous dirigez affiche-t-elle des handicaps ? Nous continuons à réaliser nos engagements. Nous avons déjà réussi à démarrer l'usine à la date prévue. Ce qui est en soi un gros challenge. Notre plan de marche avance bien. Nous sommes en train de monter progressivement en cadence dans la production. Tous les collaborateurs que nous avons embauchés ont suivi une longue formation qui a porté ses fruits, en témoigne la bonne qualité de nos véhicules. Nous sommes actuellement à 80% de la cadence nominale prévue pour une équipe. Dans environ trois semaines, nous atteindrons la cadence de 52 voitures produites par jour. Viendra ensuite une deuxième équipe pour renforcer la capacité de l'usine pour atteindre 25 000 véhicules/an. Par ailleurs, nous n'avons pas de handicap particulier. Cette première phase d'assemblage est exigeante et difficile. Notre stratégie est de commencer par l'assemblage qui permet à nos collaborateurs et aux managers d'avoir un bon socle de formation, pour ensuite entrer dans la deuxième phase qui est celle de mettre en place deux autres ateliers dédiés à la peinture et à la tôlerie, le cap étant d'atteindre la capacité de 75 000 voitures/an en 2019. Sur le volet du sourcing local, un petit site comme celui d'Oued Tlélat pourra-t-il attirer des équipementiers tels Visteon, Saint-Gobain, Snop, Bamesa ou Denso ? Sur 1800 pièces d'un véhicule, seules trois sont fabriquées localement. Les usines Renault de Tanger et de Pitesti (en Roumanie) s'approvisionnent respectivement à 50 et 85% localement. Comment pouvez-vous accroître le taux d'intégration à 20% d'ici la fin de l'année et à 42% en 2019 ? Nous sommes dans la trajectoire d'avoir, fin 2016/début 2017, un taux d'intégration de 20%. Nous avons mobilisé en partenariat avec la SNVI (Société nationale de véhicules industriels) une équipe pour prospecter des fournisseurs potentiels. Une centaine d'entreprises ont été visitées. Joktal nous fournis déjà en pièces d'injection plastique. Martal, (co-entreprise entre l'entreprise Taleb et le fabricant turc Martur) nous équipera, fin 2016, en sièges. Des négociations sont en cours avec des fournisseurs en faisceaux de câblage, de batteries, de tapis et bien d'autres équipements. Un opérateur roumain spécialisé dans le plastique avec lequel nous avons discuté tout récemment a eu cette confession : «Nous avons malheureusement raté le Maroc. Nous n'allons pas rater l'Algérie». Un autre équipementier turc nous a dit : «Nous avons le regret d'avoir raté notre entrée en Roumanie. Nous tenons à ne pas louper notre entrée en Algérie». En 2000, beaucoup ne croyait pas à la réussite de Renault en Roumanie. Aujourd'hui, l'usine implantée dans ce pays produit 340 000 voitures/an et exporte dans 60 pays. La petite taille de l'usine d'Oued Tlélat est tout de même un handicap… Oui, c'est un élément qui n'est pas très incitatif, mais il fallait bien commencer un jour. Il y a des investisseurs qui veulent parier sur l'avenir et investir sur les moyen et long termes. C'est sûr : produire 25 000 ou 40 000 véhicules/an est moins attrayant que 200 000 véhicules/an. Mais ceux qui sont avec nous à 25 000 unités/an seront les premiers à être là quand on fera beaucoup plus. Le moment où nous atteindrons la cadence de 75 000 véhicules/an sera significatif. Nos fournisseurs peuvent travailler en même temps pour d'autres constructeurs, dans le segment après-vente par exemple. Cela dit, ceux qui fournissent Renault sont très fiers de le faire. Il y a des clients qui sollicitent Joktal parce qu'il est fournisseur de Renault. L'Inde, par exemple, a une politique très incitative pour produire localement. Dans ce pays, les taxes rendent très dur le fait d'importer des véhicules. Ce n'est pas tellement le cas en Algérie. Hormis ce facteur, quels sont les autres préalables pour pouvoir se lancer dans l'exportation comme le font si bien les autres usines du Groupe Renault à travers le monde ? L'exportation est un objectif qu'il faut avoir. Il faut franchir le cap psychologique de non seulement importer moins, mais en plus d'exporter. En s'implantant en Algérie, Renault veut aussi exporter. Quand on produira 75 000 voitures/an, voire plus, nous serons en situation d'exporter. Il y aura des marchés extérieurs qui vont s'ouvrir autour de l'Algérie. D'éventuels accords de libre-échange entre les pays pourraient aider les entreprises algériennes à exporter. Par ailleurs, les taxes sont des outils classiques de tout gouvernement pour freiner les importations. Cela dit, il y a des clients pour toutes les gammes. Nous ne pouvons produire des voitures pour tout le monde. Nos fournisseurs souhaitent davantage tirer profit des avantages liés à une industrie naissante pour être compétitifs. C'est un dossier que nous avons déposé au ministère de l'Industrie pour que des fournisseurs bénéficient d'avantages en vigueur accordés par l'ANDI aux industries naissantes. Quel impact peut avoir la mesure prise par le gouvernement d'instaurer une obligation aux concessionnaires d'investir «dans l'activité industrielle, semi-industrielle ou toute activité ayant un lien direct avec le secteur de l'industrie automobile» ? C'est difficile de mesurer s'il y aurait un impact sur notre entreprise. Si cette mesure pouvait permettre à des investisseurs de s'associer avec des fournisseurs qui sont en train de s'installer, c'est une bonne chose. Cela permettra de libérer des capitaux et des investissements dans la sous-traitance. Une telle mesure créera de la concurrence pour Renault qui a eu une exclusivité de trois ans en Algérie... La concurrence est une bonne chose. Cela dit, ce n'est pas vraiment une exclusivité car rien n'empêche des partenariats privé/privé. C'est une exclusivité qui ne concerne que le public. Après les 50 millions d'euros consentis par le couple (Etat algérien et Renault) pour lancer l'usine d'Oued Tlélat, quel investissement prévoit le site que vous dirigez pour atteindre 75 000 unités/an en 2019 ? Je ne peux pas vous le dire pour le moment. Il faut d'abord étudier les détails du projet. Après les avantages incitatifs liés au foncier et à la fiscalité, y a-t-il d'autres mesures de facilitation que souhaite avoir la société mixte Renault Algérie production (RAP) pour son expansion ? La société RAP a eu accès au terrain d'Oued Tlélat par le biais d'une concession. La deuxième phase de notre projet nécessite les mêmes exonérations déjà accordées à la société RAP qui, faut-il le rappeler, est détenue à 51% par l'Etat algérien et qui sont celles (en vigueur) accordées par l'ANDI aux industries naissantes. Il faut, effectivement, donner les moyens à la compétitivité économique pour les industries naissantes. Encore une fois, l'exemple de la Roumanie est édifiant. Les aides et les incitations permettent de créer de l'emploi. Quid du volume des ventes de la Symbol qui sort de votre usine ? Je ne suis pas le mieux placé pour avoir les chiffres exacts sur le volume des ventes. C'est plutôt la filiale commerciale Renault Algérie qui pourrait vous les donner. Pour autant que je sache, les ventes ont bien démarré début 2015. Le réseau commercial est plutôt de plus en plus satisfait des ventes. Le Salon d'Alger arrive à point nommé. Il va certainement produire un bon appel d'air. Quant aux commandes des flottes par les entreprises, les ventes commencent à progresser timidement. Les budgets des entreprises qui arrivent généralement durant le mois de mars vont permettre de booster les commandes. On verra un peu plus clair dans deux mois. Je peux dire que c'est encourageant. Dans le pacte des actionnaires, y a-t-il une clause garantissant des contrats d'achat de vos véhicules par les institutions et les entreprises publiques algériennes ? Non. Il n'ya aucune clause de ce genre. Au moment de la signature du pacte des actionnaires, en 2012, le business-plan s'est basé sur une capacité de l'usine de 25 000 voitures/an et sur un marché algérien stabilisé à 400 000 voitures par an. La conjoncture était à l'époque marquée par une surchauffe. Il était à près de 500 000 voitures. Ce sont surtout les clients particuliers qui permettent de faire marcher les usines. Les flottes d'entreprises ne sont qu'un appoint et une alternative pour passer un cap, pas plus.
Le prix de la Symbol produite à Oran est critiqué pour le fait «qu'il soit aligné au même niveau que celui du véhicule importé». Comment faire pour baisser les coûts et produire moins cher que le véhicule importé ? Le prix n'est pas aligné sur celui de la Symbol importée par calcul. Les coûts logistiques des pièces importées - notamment la carrosserie - sont importants pour nous. Le volume des pièces importées est plus important que celui des voitures importées toutes faites. Il est très difficile pour une industrie naissante de faire face à des usines qui produisent 340 000 voitures/an. Nous arrivons bien tout juste à faire face. C'est déjà encourageant. De là à prédire que nous pouvons faire moins cher, il faudrait des pièces produites ici et des coûts salariaux notoirement plus bas. Les raisons de produire moins cher ne sont pas nombreuses pour l'instant. Si on arrive à avoir la même performance économique, c'est déjà bien. Pour l'Algérie, l'idée du départ est de créer un pôle industriel mécanique à travers un réseau local de fournisseurs à mettre en place. L'enjeu principal est de créer des emplois. A l'inauguration de l'usine, nous avons créé 250 emplois directs et 500 autres indirects. L'objectif du constructeur Renault était aussi d'avoir une base industrielle en Algérie. La diversification des gammes est prévue à moyen terme. Quels sont les modèles susceptibles d'être retenus et à quelle une échéance ? La diversification est, en effet, prévue dans le pacte des actionnaires. Notre ligne de production le permet. Tout modèle finit forcément par s'essouffler. On introduit des nouveautés dès la baisse des ventes du modèle existant. La diversification interviendra dans trois ans. Quant aux modèles, rien n'est encore décidé. C'est le travail du service marketing qui tiendra compte de la demande du marché. Y a-t-il un projet de produire des ultras low-cost ? Il y a effectivement des projets de produire des ultras low-cost dans les cartons. C'est l'une des hypothèses qui n'est pas à écarter. Encore une fois, c'est la demande du marché qui guidera toutes ces réflexions. Après le modèle suréquipé en vigueur depuis l'inauguration, la Symbol de niveau de gamme intermédiaire a été lancée en janvier dernier. A partir du deuxième semestre de cette année, nous allons lancer une version plus basique, sans bien sûr renier les fondamentaux liés à la qualité et à la sécurité.