Il m'est arrivé de travailler de 4h à 22h. Heureusement que c'est un temps révolu, pour moi, depuis que j'assure l'interwilayas en courtes distances», révèle Ali Abahri, chauffeur de bus assurant la liaison Alger-Tizi Ouzou. Soulagé de ne plus avoir à conduire 2100 km en aller et autant en retour le lendemain, Ali, souriant et plein de petites anecdotes, en connaît un bout concernant le calvaire des transporteurs en commun. Il a exercé durant 5 ans comme chauffeur de bus Alger-Tamnrasset. «C'est usant», lâche-t-il. S'estimant heureux d'avoir rompu avec les longs trajets, Ali explique que la fatigue et les contraintes, comme la responsabilité d'amener au terminus 50 personnes en vie et dans de bonnes conditions, sont les facteurs qui augmentent le stress des chauffeurs. Interrogés sur les quais de la gare routière du Caroubier, plusieurs professionnels de ce créneau, des chauffeurs qui connaissent toutes les ficelles du métier, lèvent le voile sur des défaillances qui coûtent la vie à des milliers d'Algériens annuellement. Selon les propos recueillis, les entreprises regroupant les transporteurs en commun assurant les longues distances ne sont pas toutes regardantes sur les normes. «Pour un bus assurant la liaison Alger-Ouargla, à titre d'exemple, deux chauffeurs doivent se succéder pour le même trajet en cas de fatigue ou d'urgence. Or, vérifiez par vous-même, aucun transporteur ne se soucie de ce détail», expliquent plusieurs chauffeurs interrogés. Salim Slimani, qui vit de ce métier depuis une vingtaine d'années, est ferme. «Les accidents qui surviennent surtout au sud du pays traduisent la méconnaissance du terrain et le manque de formation.» M. Slimani explique que «la nature de la route dure dans le désert, le paysage souvent monotone et les vents de sable provoquent la fatigue. L'endormissement au volant est mortel. La méconnaissance du terrain, qui a des spécificités dans le Sud, justifie souvent les manœuvres dangereuses tentées, en vain, par les chauffeurs pour éviter des collisions». Un jeune chauffeur, qui a requis l'anonymat, nous a raconté que par méconnaissance de la spécificité de la route dans la région du Sud, le chauffeur a du mal à avoir des repères et à déterminer la distance réelle le séparant d'un obstacle. Des chameaux surgissent soudain de nulle part et souvent il est trop tard pour tenter quoi que ce soit pour les éviter. «Quand vous roulez sur une route en dehors des villes, vous avez l'impression d'être seul, et le moindre objet ou véhicule peut faire basculer votre vie et celle de ceux que vous transportez en une fraction de seconde», témoigne un chauffeur ayant assuré les liaisons vers Biskra. Un métier peu stable Mechani Samir, qui assure la liaison Alger-Bouira, indique que les chauffeurs de poids lourds, et ceux de transport des marchandises sont également pointés du doigt dans cette hécatombe, «dont on veut endosser la responsabilités aux transporteurs en commun uniquement». Les excès de vitesse motivés par le souci de faire plus de navettes pour empocher plus de primes expliquent, selon ce jeune chauffeur, le nombre élevé d'accidents sur les routes. Les transporteurs fuient généralement les postes les obligeant à assurer de longues navettes. «Les transporteurs privés ont du mal à trouver des chauffeurs réguliers, d'où les difficultés à se conformer à la réglementation exigeant deux chauffeurs pour une seule navette», explique un chauffeur de Ouargla. Avec des salaires ne dépassant pas les 30 000 DA, les employeurs ont de la peine à se conformer au cahier des charges. «Je préfère les dessertes vers les wilayas limitrophes malgré le problème des embouteillages. Je fais deux allers-retours sur 100 km pour 30 000 DA. D'autres touchent bien moins. Certes, c'est insuffisant, mais c'est moins épuisant que la liaison vers le Sud pour 5000 ou 10 000 DA de différence.» «Les transporteurs privés ont du mal à mettre la main à la poche, d'où les difficultés à dénicher des chauffeurs expérimentés», expliquent les routiers qui regrettent que «les calculs mercantiles soient souvent la cause de rupture des relations de travail». C'est un métier instable. «Certains chauffeurs acceptent de faire le trajet Alger-Tamanrasset-Alger sans aucune nuit de sommeil pour plus d'argent. C'est fou, mais c'est la réalité.» Le directeur général de la Société d'exploitation des gares routières, Cherief Mohand Saïd, plaide pour la concrétisation des recommandations des assises du secteur. «Les textes existent, mais il faut les renforcer par des structures d'inspection et de contrôle et des moyens humains. Il ne faut pas également détourner le regard en matière de formation des contrôleurs. Selon ce responsable, le cahier des charges régissant l'activité prévoit bien des mesures pour éviter le surmenage des chauffeurs et leur épuisement. Mais sur le terrain, le contrôle est bien défaillant.»