Le procès en appel des chômeurs détenus depuis deux mois à Laghouat s'est achevé mercredi sur une «déception», selon les termes des avocats, des familles et des proches. Le verdict rendu le soir même par la cour a confirmé le premier jugement du tribunal. Belkacem Khencha et ses six camarades écopent, désormais, d'une peine d'une année de prison dont six mois fermes. Accusés d'«attroupement non armé» selon l'article 97 du code pénal et de vouloir «influencer les décisions du juge» selon l'article 147, les chômeurs ont été condamnés sur la base de deux articles qui, selon leurs avocats, «ne correspondent aucunement aux faits qui leur sont reprochés». Connus pour leur activisme dans cette wilaya, leur seul «tort» était d'avoir organisé, le jour de leur interpellation, fin janvier, un rassemblement devant le même palais de justice, en signe de solidarité avec leur camarade Mohamed Reg, interpellé près de chez lui le 22 janvier et poursuivi en compagnie de son voisin pour «violences en flagrant délit» envers les forces publiques. Le 18 mars, la même cour avait confirmé la sentence prononcée par le tribunal contre Mohamed Reg et son voisin : ils sont finalement condamnés à 18 mois de prison, dont une année ferme. AUTORISATION Interrogé à sa sortie de l'audience, maître Salah Dabouz, membre du collectif d'avocats et président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (Laddh) qualifie le procès de «politique» et les chômeurs de «détenus d'opinion». Le même jour, dans la matinée, quatre personnes ont été interpellées par la police. Parmi elles un handicapé qui a malmené par les agents. Le jour du procès, les familles des prisonniers et le journaliste d'El Watan Week-end sont empêchés d'accéder au palais. L'accès ne leur est possible qu'après intervention de la délégation du FFS, dirigée par Noura Mahiout, qui obtient l'autorisation auprès du procureur général. Sur la place jouxtant le palais de justice, les policiers forment un bouclier autour de l'édifice, faisant croire qu'un possible dérapage serait imminent afin de justifier l'interdiction d'accès à la cour. A l'intérieur, les familles, inquiètes, échangent des regards quand le juge prononce les noms des détenus. Assumant son statut de responsable régional du mouvement des chômeurs, c'est Belkacem Khencha qui prend la parole en premier et raconte ce qui s'est passé le jour de leur interpellation. Indifférent Le parquet, représenté par Abdelkader Fawatih, qui «devait se contenter d'exposer sa plaidoirie», regrette Salah Dabouz, s'est engagé dans une série de «provocations», qualifiant même la grève de la faim entamée par les chômeurs de «tentative d'influence» sur les décisions du juge ! La tension monte d'un cran. Les avocats de la défense épuisent tous les arguments afin d'expliquer au juge, Azeddine Harouzi, que l'affaire est «montée de toutes pièces» dans le but de condamner des chômeurs innocents. Le juge, qui affiche ostensiblement son indifférence aux explications juridiques des avocats, passe la séance à bailler. «En parlant de l'article 147, le procureur a lui-même affirmé que les policiers n'avaient pas besoin d'avertir les manifestants. Donc il reconnaît qu'ils sont tenus de respecter cette procédure par rapport aux faits jugés selon l'article 97. Si les policiers n'ont pas respecté la loi, dans ce cas, on ne peut parler d'attroupement car les conditions n'étaient pas réunies», explique dans sa plaidoirie maître Djamel Bourennane, membre du collectif de défense et avocat engagé par le FFS. Maître Noureddine Ahmine, coordinateur du Réseau d'avocats de défense des droits de l'homme (RADDH) met le point sur les faits rapportés selon l'article 147 du code pénal : «C'est au juge de porter plainte s'il avait vraiment senti une quelconque influence de la part des chômeurs et non à la police de le faire. C'est grave de constater qu'aucune plainte n'a été déposée par le magistrat. Donc les chômeurs ont été condamnés sur la base d'une simple interprétation des faits par la police.» Le juge qualifie le fait de tenir le drapeau national pendant une manifestation de «tentative d'attiser les sentiments des gens afin de les inviter à adhérer à l'action». A ce sujet, le jeune avocat Farouk Slimani répond : «Des Algériens ont laissé leur vie car ils ont osé tenir le drapeau algérien le 8 Mai 1945. C'est grave de leur reprocher le même fait 53 ans après l'indépendance. Dieu merci, nous sommes aujourd'hui libres et heureusement qu'ils ont porté le drapeau de l'Algérie et non celui de Daech !» Hogra Avant la levée de la séance, le parquet menace même de poursuivre maître Dabouz en justice pour avoir commenté ses propos. La séance est levée et les chômeurs sont à nouveau condamnés. Hamid Ferhi, coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS), présent mercredi à Laghouat, réagit à la condamnation : «Le MDS ne saurait resté les bras croisés devant de telles atteintes aux droits des citoyens et déploiera tous les efforts pour que Belkacem Khencha et ses camarades recouvrent la liberté.» De leur prison à Laghouat, les détenus ont confié hier à leurs proches qu'ils acceptaient leur sort car l'«emprisonnement fait partie de leur combat». A Tunis, des militants algériens, présents au Forum social mondial, ont arboré hier, en même temps, les portraits de tous les chômeurs détenus, en signe de solidarité, qualifiant le verdict rendu de «hogra».