Par Tewfik Hamel Chercheur en Histoire militaire & Etudes de défense à l'université Montpellier III et membre du comité de lecteurs de la revue Géostratégiques. Le cas de l'Algérie est d'une importance cruciale plus qu'un autre pays du Maghreb, son évolution aurait un impact considérable sur l'environnement régional. De nombreux facteurs ont influencé la doctrine sécuritaire algérienne, notamment l'histoire, la géographie et l'idéologie. La perception qu'ont les autorités algériennes du monde extérieur — y compris ce qui constitue une menace pour la sécurité nationale — a fortement été influencée par l'idéologie. La guerre d'indépendance a contribué à un ensemble de croyances conduisant le pays à s'identifier étant tiers-mondiste fermement hostile à l'impérialisme, au colonialisme et à la domination économique des anciennes puissances coloniales capitalistes. L'un des exemples du nationalisme radical du tiers-monde, l'histoire moderne de l'Algérie, est l'un des excès. La période coloniale a particulièrement été longue, la guerre d'indépendance particulièrement coûteuse, la nationalisation de l'économie a été profonde, l'insistance sur la règle du parti unique a été sans faille et les projets d'industrialisation ont été trop ambitieux. Elle fut également le pays qui a pris les mesures les plus spectaculaires en matière de démocratie libérale en 1989-1991. Par la suite, le pays a sombré dans une violence sanglante nullement connue ailleurs. Mais, aujourd'hui, son avenir démocratique reste incertain et personne ne serait en mesure de décrire l'Algérie comme un modèle d'émulation politique. Les périmètres de la sécurité nationale de l'Algérie Historiquement, avec une élite intellectuelle et dirigeante francophone déterminée à réorganiser l'Etat le long des lignes modernes, c'est le pays où l'héritage de la colonisation est plus profond, mais également c'est là où la volonté de s'en débarrasser s'est manifestée virulemment par la suite. L'histoire post-indépendance de la «plus assimilée des colonies» fut une suite de rejets répétitifs de la greffe coloniale. D'où des relations difficiles avec l'Occident et la marginalisation de la Méditerranée dans l'architecture de sécurité de l'Algérie alors que l'histoire, la géographie, l'immigration et les liens politico-économiques importants avec l'Europe scellent le destin méditerranéen du pays. Au moins jusqu'à une date récente, la sécurité nationale de l'Algérie a principalement été envisagée dans le cadre de trois cercles se chevauchant constamment : maghrébin, arabe et africain. Sa diplomatie agit pour les consolider et s'en sert pour soutenir sa politique internationale, notamment son engagement tiers-mondiste. Comme le disait Boumediene, «pays arabe, maghrébin et africain, l'Algérie appartient à ce vaste ensemble des nations du tiers-monde». Ces cercles ont toujours été conçus comme complémentaires. Selon le contexte, Alger n'hésite pas à instrumentaliser un cercle pour appuyer sa sécurité nationale et renforcer sa position dans un autre. L'action internationale de l'Algérie reste motivée par la volonté de s'imposer, étant l'interlocuteur incontournable des grandes puissances pour tout ce qui concerne les Affaires maghrébines et même africaines. Si le tiers-monde était le grand cercle dans et à travers lequel la diplomatie algérienne a été véhiculée, sa dimension méditerranéenne s'exprimait essentiellement comme un sous-ensemble dans le cadre des rapports Nord-Sud (non-alignés) et du dialogue européo-arabe (Ligue arabe). Sa conversion au pragmatisme s'éloignant de la «diplomatie de maquisards» l'a conduit à inclure progressivement la Méditerranée comme une partie de son identité. Contrairement à la Constitution de 1963 qui considère le pays comme «partie intégrante du Grand Maghreb, du Monde arabe et de l'Afrique», celle de 1996 le définit comme «partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain». L'ouverture économique du pays, la démocratisation à mi-chemin, la normalisation graduelle des relations avec l'Occident reflètent le renouveau de l'état d'esprit algérien. Sous cet angle, la coopération croissante notamment militaire avec les pays occidentaux traduit la réorientation de la diplomatie algérienne et un rééquilibrage en faveur du cercle «Méditerranée», le résultat de choix politiques pour plus d'Occident. Mais sa conversion n'a pas encore été achevée, comme le reflète son engagement au Sahel. L'approche algérienne du Sahel L'Algérie a souvent fait preuve d'un manque de réactivité pour tirer parti des opportunités économiques et institutionnelles offerts par l'UE et des différentes crises régionales. En septembre 2011, l'UE a lancé sa stratégie pour la sécurité et le développement dans la région du Sahel. Mais elle n'a pas reconnu le rôle central de l'Algérie dans le Sahel et ne l'a pas intégré de façon appropriée dans la réponse régionale. L'attitude d'Alger y est pour quelque chose. La volonté d'Alger d'exclure les acteurs extérieurs du Sahel a mené les Européens à l'exclure à leur tour. S'il est vrai que toute architecture de sécurité régionale marginalisant Alger ne peut être qu'efficace, il est aussi vrai que la stratégie consistant à exclure les acteurs extérieurs n'est pas payante. Les enjeux sont énormes pour que Paris et Washington se plient à la volonté d'Alger qui en a déjà fait les frais en Libye et au Mali. Non seulement son intransigeance n'a pas évité les interventions occidentales, elle a été court-circuitée en faisant appel aux pays du Golfe et de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), alors que les forces armées algériennes sont mieux équipées. Cela risque de se reproduire en Libye et ailleurs. Les puissances occidentales n'hésiteront pas à appuyer d'autres alliés régionaux, comme le Maroc, pour exécuter leur stratégie au détriment d'elle. Un point commun caractérisant la région du Maghreb/Sahel est qu'elle constitue une aire de rivalités stratégiques. Et en l'absence d'une stratégie sécuritaire commune, les pays maghrébins utilisent un langage stratégique incompris par leurs voisins méridionaux et même les inquiètes. L'Algérie, par exemple, refuse d'accueillir le siège de l'Africom et exhorte les pays de Sahel à lui emboîter le pas. Une attitude que les pays sahéliens appréhendent avec méfiance, surtout qu'ils n'ont ni les moyens ni la position géographique susceptibles de jouer en leur faveur. Ils ne se réjouissent même pas de la stabilité politique qui est de nature à les inciter à refuser les aides américaines en échange d'une présence militaire. Et pour boucler la boucle, chacun des pays maghrébins se vante d'être un allié stratégique de Washington. Aucun des pays maghrébins n'accorde une importance à payer le prix. L'influence est évaluée en fonction de qui paye qui et quoi (coopération, aide, etc.) et c'est là que se situe la faille de la stratégie d'Alger, qui cherche à sortir l'Afrique des sentiers battus, mais n'accepte pas d'assumer tout ce que cela implique au niveau opérationnel en termes financiers, politiques ou militaires. Quoi qu'il en soit, après tout l'Algérie n'a pas les moyens de répondre toute seule aux problèmes de Sahel. C'est plus constructif pour elle d'opter pour un engagement «positif» négocié dans des termes gagnant-gagnant. C'est la meilleure façon de pouvoir façonner la stratégie occidentale vis-à-vis de son environnement immédiat. Sans une approche systémique et claire, ayant pour objectif l'amélioration de l'intégration régionale, les menaces à la sécurité et la stabilité augmenteront. Mais parce que le conflit est perçu comme un obstacle à d'autres objectifs stratégiques, la dimension économique et développement est nettement subordonnée à la dimension sécuritaire (considérée comme la priorité dans l'immédiat) dans l'approche algérienne du Sahel. En outre, le pays cherche une solution qui continue d'être fortement alimentée par la sécurisation de ses frontières, c'est-à-dire par la volonté d'éviter tout débordement susceptible de perturber sa stabilité relative. Donc, comme ce sont les impératifs de sécurité intérieure qui façonnent l'engagement régional du pays, il n'est pas complètement exclu que les forces spéciales algériennes mèneront des frappes chirurgicales en Libye. Si Alger a tendance à privilégier les solutions politiques, elle n'est en aucune façon un adepte du «tout politique». La position algérienne a beaucoup évolué depuis l'attaque terroriste du site gazier d'In Amenas, qui constitue un tournant dans la stratégie antiterroriste du pays. Elle a mis fin à l'approche sécuritaire du terrorisme à laquelle s'est substitué un traitement militaire basé sur l'éradication pure et simple des terroristes. Par ailleurs, de nombreux officiers, ont affirmé les forces militaires algériennes, sont déjà prêts à exécuter des missions au-delà des frontières nationales dans le cas d'une menace imminente. L'intérêt qu'accorde Alger à l'achat d'une vingtaine de gros avions de transport militaire en est révélateur. Mais comme le pays ne possède pas d'expérience en matière d'opérations extérieures, il ne pourrait développer ce rôle qu'en s'appuyant sur une coopération multilatérale et en faisant appel à des partenaires stratégiques comme les Etats-Unis. Le rôle de l'Algérie dans la stratégie américaine Au niveau stratégique, une grande puissance a trois façons de sécuriser ses intérêts à l'étranger ; forces positionnées vers l'avant ; déploiement stratégique depuis la maison ; ou s'appuyer sur des alliés fiables. La préférence des Etats-Unis consiste à trouver un équilibre entre les trois en fonction de l'environnement opérationnel et la valeur stratégique des régions en question. Vu le coût insoutenable de la stratégie de «défense vers l'avant», un rééquilibrage a eu lieu en particulier depuis 11 septembre 2001 pour se focaliser sur la construction d'alliances nouvelles, fortes et alignées. Cette stratégie implique politiquement la cooptation des élites et la subversion politique et, militairement, accès et positionnement des moyens de combat. De cette façon, l'Amérique est venue à maintenir et étendre un réseau d'alliances avec des petits et moyens Etats situés près des carrefours stratégiques et goulots d'étranglement le long des marges de l'Europe, l'Asie et le Moyen-Orient. L'approche des Etats-Unis de la région sahélo-maghrébine est subordonnée à leur stratégie mondiale. Ici, les intérêts américains s'appellent approvisionnement énergétique, sécurité maritime, lutte contre le terrorisme, accès aux marchés, immigration clandestine et containment de la Chine. Si l'état final recherché est l'intégration géo-économique et géopolitique de la région dans le système politico-économico-sécuritaire américain, chacun de ces intérêts exige une politique de fins-moyens distincte mais cordonnée par une stratégie régionale envisageant le Maghreb comme une zone à la fois «tampon» et «pivot». La création d'une zone de libre-échange avec un Maghreb intégré économiquement et politiquement est un objectif de longue date. Au sein de ce bloc régional, un rôle central est attribué à Alger, bien qu'elle soit un partenaire difficile. A l'instar de ses voisins, être un «Etat tampon» c'est être en mesure de gérer l'immigration, constituer une ceinture sanitaire contre les pandémies et s'élever en une barrière sécuritaire contre l'infiltration d'éventuels terroristes ou trafiquants. Quant à l'«Etat pivot», c'est jouer le rôle de gendarme régional à travers la lutte contre les groupes terroristes et d'autres menaces transnationales. Il s'agit aussi de contribuer à la consolidation des Etats faibles de la région en fournissant assistance à la sécurité, formation militaire, aide logistique, soutien financier, etc. Dans cette stratégie, Alger (et alliés même européens) se voit cantonnée dans un rôle fonctionnel. Militairement, un tel rôle implique une transformation profonde des forces militaires algériennes pour être en mesure de mener et soutenir des opérations irrégulières (asymétriques) au-delà des frontières nationales. L'intérêt de s'appuyer sur des piliers régionaux tient à la légitimité de l'opération et à terminer le travail puisque le rôle des Américains consiste à «accompagner les enfants à l'école». De leur point de vue, les Etats-Unis devraient simplement se «concentrer sur leur priorité qui est de faire la guerre et de gagner». En effet, comme les forces américaines se sentent mal à l'aise avec les opérations irrégulières, l'Amérique cherche à les externaliser. Cette conception est au cœur des efforts américains de créer une coalition internationale contre l'Etat islamique qui consiste à éviter tout déploiement terrestre. Le rôle des Américains se limitera au renseignement, soutien logistique, assistance à la sécurité, frappes aériennes des drones. Au lieu des frappes «choc et effroi», ce type de guerre requiert d'«utiliser un scalpel au lieu d'un marteau» (John O. Brennan). Le rééquilibrage des Etats-Unis vers l'Asie et la montée des tensions avec la Russie impliquent un tournant dans les préparatifs militaires américains : la subordination de la guerre irrégulière à la guerre régulière. Cela ne fera qu'accroître les pressions américaines sur les alliés régionaux, y compris l'Algérie pour jouer leur rôle de sous-traitant de sécurité. Mais Alger n'est pas un allié inconditionnel et les deux capitales ont des approches nettement différentes sur les questions régionales. Le risque de militarisation du Sahel : erreur stratégique La fragilité des Etats est difficile à cerner. Les efforts pour définir, catégoriser, mesurer, interpréter et prédire les Etats fragiles ont eu des succès mitigés. La littérature existante regorge de définitions de la fragilité, et l'utilisation de l'expression Etat fragile est très controversée. Cela n'empêche pas qu'il y ait un accord sur certains points de base entre la littérature académique et politique. En tout cas, comment concevoir que les conditions de la fragilité de l'Etat sont cruciales pour la capacité à façonner des stratégies efficaces en termes de réponse. Au lieu de concevoir leur politique étrangère comme un travail social basé sur les «3D» (Diplomatie, Développement et Défense), l'approche actuelle principalement militaire des Etats-Unis et de la France est d'un faible recours à long terme. La militarisation du Sahel pose des inquiétudes justifiées étant la bonne compréhension des problèmes de la région et leur solution potentielle fait souvent défaut chez les militaires. Malgré la transformation de ces derniers pour inclure les opérations autres que la guerre, ce type d'opération reste secondaire dans le logiciel des militaires. La planification du développement économique requiert une compréhension de la société, de la culture et de l'environnement opérationnel. Trop souvent la première question dans les forces militaires porte sur ce qui devrait être fait plutôt que sur la nature du problème. Une intervention militaire en Libye n'a aucune chance d'apporter la stabilité. Si c'est le cas, elle impliquera d'énormes investissements financiers et humains dans le long processus de nation-building. Une chose que ni l'UE ni les Etats-Unis ensemble ou séparément ne sont en mesure de fournir dans le contexte actuel. Le pouvoir n'est pas toujours au bout du fusil, et ce ne sont pas les exemples qui manquent. Pourquoi donc cette tendance à trop privilégier la force militaire sans que son efficacité soit démontrée historiquement ? Parce qu'elle est la source de puissance la plus directe et visible. La diplomatie et l'aide étrangère sont souvent sous-financées et sous-utilisées. Ces outils sont négligés en partie à cause de la difficulté de démontrer leur impact à court terme. En référence à la Deuxième Guerre mondiale, A. R. Millett et W. Murray préviennent qu'aucune virtuosité opérationnelle ne pourrait réparer des erreurs fondamentales dans le jugement politique. En aucune façon la stratégie ne peut façonner le politique. Selon eux, les erreurs de calcul conduisent nécessairement à la défaite, et toute combinaison d'erreurs politico-stratégiques a des conséquences désastreuses. «Même la mobilisation effective de la volonté nationale, la main-d'œuvre, la puissance industrielle, la richesse nationale et le savoir-faire technologique ne pourraient éviter aux belligérants de recueillir les fruits amers des graves erreurs à ce niveau. C'est parce qu'il est plus important de prendre les bonnes décisions au niveau politique et stratégique qu'au niveau opérationnel et tactique. Des erreurs dans les opérations et les tactiques peuvent être corrigées, mais des erreurs politiques et stratégiques vivent toujours». L'intervention en Irak (2003) fait partie de ces erreurs politico-stratégiques dont les effets ne disparaîtront pas de sitôt. La Libye pourrait en être une autre. La primauté des solutions politiques dans l'approche algérienne n'est pas due seulement à ses principes, mais aussi à des raisons d'efficacité. Ses efforts en Libye et au Mali vont dans ce sens. L'issue finale dépend de sa capacité à convaincre la France et les Etats-Unis de la fiabilité de son approche. L'inconvénient pour elle est son incapacité à avoir une réelle influence sur leurs décisions. L'intervention de l'OTAN en Libye en est un exemple. Les limites d'une puissance régionale La doctrine stratégique de l'Algérie interdit à l'armée d'intervenir militairement en dehors du territoire national, même lorsqu'elle est vivement sollicitée par ses voisins ou partenaires internationaux. Non seulement ce principe n'a pas empêché ses forces militaires de fournir aide logistique et formation aux forces armées et de sécurité des pays voisins, notamment le Mali, la Libye, etc., le pays reste très actif en matière de coopération régionale et internationale et est engagé dans de nombreuses architectures de sécurité. Le recours à la diplomatie multilatérale est une façon de concilier ses principes de non-intervention et l'impératif de faire face aux menaces à sa sécurité. Les contradictions de l'Algérie quant à son engagement extérieur sont un aveu de ses faiblesses structurelles intérieures. Le positionnement de «ni-ni» permet à l'Algérie d'occulter les luttes internes au sommet du pouvoir qui paralysent sa capacité d'action et affaiblissent son leadership régional. L'absence d'engagement fort pourrait bien être le résultat de positions contradictoires et d'intérêts divergents au cœur-même du système, symptomatiques de la multiplicité des lieux de pouvoirs, du dysfonctionnement du centre décisionnel et de l'opacité des processus de décision. L'ambiguïté de son activisme reflète aussi les divisions intérieures traversant la société algérienne qui se traduisent dans le rééquilibrage des cercles de la sécurité nationale. Dans son âme, l'Algérie cherche à être un électron libre. Théoriquement, elle a les moyens de sa politique. Mais il lui manque une grande stratégie, la grande idée de la politique étrangère et de la sécurité nationale qui offre la clarté directionnelle. C'est une vision unificatrice, un cadre pour une meilleure compréhension de la grande image du rôle du pays dans le monde. Son noyau est l'harmonisation des fins et des moyens avec une méthodologie pour atteindre l'état final recherché. Elle est sur la façon dont le leadership peut utiliser la puissance disponible à l'Etat pour exercer le contrôle sur les gens, les lieux, les choses et les événements pour atteindre des objectifs en conformité avec les intérêts nationaux. Comme une discipline de compromis, la grande stratégie nécessite l'emploi de toute la puissance nationale et implique la protection et le développement des sources de puissance. Parce que la survie et la croissance sont les super objectifs intégraux de chaque système, sa mission est la préservation du système (l'Etat en l'occurrence) et, le cas échéant, garantir sa suprématie sur d'autres systèmes. Henry Minztberg assimile la stratégie aux «objectifs du système» qui se répartissent en quatre catégories : «survie, efficacité, contrôle et croissance». Dit autrement, la solidarité nationale et la cohésion intérieure constituent une fonction de la grande stratégie. En plus de soutenir les objectifs nationaux, elle consiste à améliorer la condition physique de la nation comme un tout organique et à façonner (et à faire face à) un environnement en constante évolution. En effet, pour réussir sur le long terme dans un monde complexe, le pays a besoin d'une vision unificatrice si convaincante qui agit comme un catalyseur ou une balise autour de laquelle évoluent les qualités essentielles qui permettent à une entité collective ou un ensemble organique d'améliorer sa stature dans l'ordre des choses. Propres aux sociétés démocratiques, de telles visions ne peuvent émerger que de manière consensuelle suite à un long débat national souvent virulent. Face aux forces de la fragmentation, «ce n'est pas le plus fort qui survit, ni le plus intelligent, mais le plus réceptif au changement». Cette remarque de Charles Darwin prend toute sa pertinence dans le contexte actuel. Le changement social en soi a toujours été associé à des niveaux croissants de conflits. Ces périodes de changement sont, par essence, transitoires et sont caractérisées par des conflits de valeurs et d'intérêts qui deviennent monnaie courante et violents. La cohésion d'une société est strictement liée à sa capacité à faire face à une multitude de risques découlant de son environnement et de sa propre organisation. Construire et maintenir la sécurité et la paix sociales dépend fondamentalement des caractéristiques des systèmes politiques, car le caractère des institutions politiques d'un pays exercent un puissant effet sur le risque de défaillance de l'Etat. Sans une véritable démocratie, il n'y a pas de légitimité. En termes de stabilité, la démocratie est comme une pyramide, alors que la dictature est une pyramide inversée qui peut basculer à tout moment. Les forces centrifuges de la mondialisation peuvent être contrées seulement par les forces centripètes de la légitimité démocratique. Les gouvernements démocratiques ont tendance à gérer les conflits sociaux principalement en les canalisant politiquement au lieu de la coercition. Lorsque les questions de divisions ethniques et politiques dans les démocraties font surface, elles sont généralement exprimées en signe de protestation plutôt que de rébellion et aboutissent souvent à des politiques réformistes. Sous cet angle, l'Algérie a l'air d'une puissance régionale. Elle est plutôt un Etat fort (c'est-à-dire soutenu par un empire bureaucratique et un appareil sécuritaire coercitifs) et non pas puissant. L'Algérie dans sa version actuelle s'apparente à une pyramide inversée.