Depuis l'ouverture du champ médiatique il y a 25 ans, la presse algérienne a bien proliféré avec plus d'une centaine de journaux et une trentaine de chaînes de télé. La libéralisation de la presse a bien eu lieu et la liberté de ton, même sélective, fait miroiter l'illusion d'une presse libre et indépendante. Certes, il n'existe pas de liberté absolue, même dans les pays occidentaux supposés démocratiques. Quand les pressions ne sont pas exercées par les politiques eux-mêmes, elles le sont par leurs relais économiques. En Algérie, le nombre d'incidents recensés ces dernières années, mois et semaines portant atteinte à la liberté de la presse sont multiples. Directement ou indirectement par lui-même ou via ses relais, le pouvoir politique veille au grain. Il y a quelques jours, une émission satirique sur Al Djazaïria qui ne prenait pas de gant pour dénoncer les dépassements de certaines tenants du pouvoir politique a été arrêtée pour atteinte «aux symboles de l'Etat». Miloud Chorfi, président de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel, a assuré pourtant que son organisme n'était pas «un mécanisme de censure». Quelques mois plus tôt, un journaliste de la chaîne d'Ali Haddad, Dzair TV, était suspendu d'antenne pour avoir, selon lui, osé poser une question gênante au premier ministre Sellal. En 2012, les quotidiens El Khabar et El Watan dénonçaient des tentatives de «chantage» politique et «d'étranglement» exercé par le biais des redressements fiscaux. L'année dernière, El Djazair News s'est vu interdit de publication par la Société d'impression du Centre (SIA). Le journal avait notamment abrité une rencontre du groupe Barakat, hostile à la réélection de Bouteflika, mais la raison officielle invoquée par la SIA était le non-payement d'une dette de plusieurs milliards de centimes. D'ailleurs, d'autres publications avaient subi le même sort pour les mêmes raisons. Pour le ministre de la communication Hamid Grine, les imprimeries sont des entreprises «souveraines et libres d'adopter les moyens utiles pour recouvrer leur argent». Selon lui, sur de 4 milliards dA de factures impayées, les imprimeries publiques n'ont récupéré que 200 millions de dinars. Il estime que certains journaux dégagent, grâce à la publicité, suffisamment de bénéfices pour régler leurs dettes. Argument commercial L'argument commercial pour surseoir à la liberté de la presse a le mérité d'être plausible. Il est surtout efficace, surtout quand l'entreprise de presse est fébrile. «Quand tu es fragile financièrement, ce qui est le cas de 90% des journaux, on lâche sur toi les imprimeries pour qu'elles récupèrent leurs créances», commente un ancien patron de presse. L'Etat contrôle l'essentiel des moyens d'impression, mais quid des journaux qui disposent de leurs propres imprimeries ? Il y a quelques mois, le journal El Khabar parmi les deux premiers gros tirages arabophones du pays, accusait Hamid Grine de faire pression sur les annonceurs pour que ces derniers cessent de donner de la publicité aux journaux jugés trop virulents à l'égard du pouvoir. Le chantage à l'impression se transformerait-il en chantage à la publicité ? «Nous avons été approchés pour que l'on cesse de donner de la pub à certains journaux, mais nous n'avons pas cédé. De toute manière, ils n'ont aucun moyen de nous contraindre à le faire», nous dit-on au niveau d'un concessionnaire qui dispose d'un budget publicitaire de plus de 500 millions DA par an. «Le tirage d'un journal et la cible qu'on veut toucher sont les critères principaux dans le choix du support. La ligne éditoriale n'est pas très importante pour nous», précise la même source. Hamid Grine a tout de même réfuté les accusations dont il a fait l'objet, déclarant que «le professionnalisme reste le seul critère pour l'octroi de la publicité». Le PDG d'Ooredoo affirmait, lui, que l'octroi de la pub relevait de la pure logique commerciale Une telle logique supposerait que l'annonceur placerait sa publicité là où elle a le plus de chance d'être vue par une grande partie de la cible recherchée, soit des supports audiovisuels qui ont les plus gros taux d'audience et les journaux qui ont les plus gros tirages. Or, ce n'est pas toujours le cas. Certains gros tirages sont interdits de publicité étatique depuis des années. «Des annonces d'appel d'offres sont publiées dans des journaux à faible tirage avec des résultats infructueux», note un ancien patron de presse. Mais, depuis quelque temps, les annonceurs comptent de plus en plus sur le conseil des agences de communication pour être orientés selon «des critères normalement objectifs», nous dit-on. Défi «On sélectionne les meilleurs supports en fonction de leur audience, des journaux selon leur tirage, leurs ventes, la cible qu'ils touchent», explique la responsable d'une agence de communication qui compte dans son portefeuille-clients des annonceurs du secteur bancaire et automobile. Cette boîte achète pour 4,5 millions DA/an auprès d'une agence de marketing spécialisée les études actualisées sur les parts de marché des différents médias. Un bon outil d'aide à la décision, mais certaines agences ne travaillent pas toutes ainsi. «Certaines cherchent simplement leur intérêt, la meilleure commission à obtenir. Il y a beaucoup de subjectivité», déplore notre source. Pour l'ancien ministre de la communication, Abdelaziz Rahabi, les menaces politiques comme économiques «participent du même esprit, car elles font de la publicité un outil de pression sur la ligne éditoriale des médias qui affichent une liberté de ton». L'ouverture au privé en 1990 pour la presse écrite et en 2012 pour l'audiovisuel s'est faite sous la pression (octobre 88 et le Printemps arabe respectivement), ce qui témoigne, selon lui, de l'incapacité du système politique à «anticiper, car il n'a pas de traditions réformatrices et ne réagit, historiquement, que par rapport à la violence». La stigmatisation des médias souvent pointés du doigt pour leur manque de professionnalisme et d'éthique est une ruse des pouvoirs publics pour s'affranchir de la critique. Pour l'heure, la question essentielle est de savoir si le pouvoir politique est disposé à «s'accommoder d'une presse qui rend compte de la corruption, de la mauvaise gestion de la richesse publique, ou de tout autre manquement à la bonne gouvernance», pense notre interlocuteur. La presse algérienne étant considérée comme «un contre-pouvoir gênant et incontrôlable», la réponse serait, a priori, non.