L'avocat de Mohamed Khelladi a demandé hier, au nom de son mandant, l'ouverture d'une enquête sur ce qu'il a appelé «le scandale du siècle». Lors de sa longue plaidoirie, il a remis en doute le témoignage de Amar Ghoul et regretté que de nombreuses personnes citées lors de l'enquête n'aient pas été inquiétées. Il évoque une volonté délibérée de museler Khelladi en le poursuivant pour des futilités, le mettant ainsi avec ceux qu'il a dénoncés. Durant plus de deux heures, Me Abassi tente de lever le voile sur cette affaire en commençant par lancer à Khelladi : «Khelladi ne sois pas triste, Dieu est avec toi.» Il se tourne vers le juge et lui dit : «Khelladi est un héros. Il n'a dit que la vérité.» L'avocat se demande depuis quand un avocat plaide contre un autre accusé, le qualifiant de «James Bond» et d'«agent 007». «N'est-ce pas un manquement à l'éthique ?» Il rassure Chani, en lui disant qu'il ne tombera pas dans ce piège et qu'il continuera à le respecter. «Il veulent faire de cette affaire le procès du DRS pour détourner l'attention. Tantôt ils qualifient Khelladi de fou, tantôt de détraqué, juste parce qu'il a dit la vérité. Khelladi vient de me demander de dire au président de la République d'ouvrir une enquête sur les personnes citées et non entendues. Et je vais lui demander officiellement de me recevoir pour lui en parler», lance Me Abassi. Et de préciser : «Il a collecté des informations très précises et très graves et les a remises aux services habilités à enquêter sur ces affaires. On veut détourner l'attention sur ce que Khelladi a dit. Il a cité des ministres, des ambassadeurs et de hauts responsables mais ils n'ont pas voulu les citer.» Il rappelle les dates où Khelladi a été entendu par le juge, 3 fois, en tant que témoin avant qu'il ne soit inculpé et placé sous mandat de dépôt, «pour le faire taire à jamais». «A part les cinq téléphones, ils n'ont rien trouvé qui puisse le compromettre. Pourtant, il est accusé d'organisation, d'association de malfaiteurs dont les membres, c'est lui qui les a dénoncés. Pour lui, tout a été fait pour le mettre en prison et le faire taire définitivement. Il rappelle que les quatre avocats de l'ANA sont venus au tribunal, dont un s'est constitué contre Khelladi, le deuxième contre Khelladi et Citic, et le troisième contre Citic et Cojaal. Une situation, étrange», selon Me Abassi. «Pourquoi voulez-vous détourner l'attention de l'opinion publique de cette grave affaire ? Pourquoi le mettre avec des gens qu'il a lui-même dénoncés ? Chani lui-même a dit que c'est le général Abdelali qui lui a parlé de Khelladi, et ce dernier dit que c'est le général Hassan qui lui a demandé d'appeler Chani, qui a dit qu'il n'a fait que redire ce qui lui a été dicté par la police judiciaire. Or, il ne nous a pas dit que devant le même juge, il avait parlé de ce conseil des ministres restreint relatif à l'autoroute, en présence d'hommes d'affaires étrangers. C'est lui également qui a dit avoir rencontré Benachenhou pour parler des investissements et lorsqu'il a été rappelé, il l'a contacté pour lui dire ‘prépare-toi, il y a le projet de l'autoroute'. C'est cela qui intéresse Khelladi. Il a ramené des informations. Il avait le projet de l'autoroute sur les épaules. Il en a été chargé. Ils lui collent une affaire de 300 000 DA alors que lui a dénoncé une affaire de 11 milliards de dollars.» L'avocat évoque la prise en charge du fils de Khelladi, un handicapé, par Citic-CRCC : «La délégation médicale chinoise prend en charge de nombreux enfants algériens à titre humanitaire. Où est le problème si Khelladi emmène son fils se faire soigner ?» Il exhibe la réponse écrite de Amar Ghoul, défiant le tribunal de trouver une signature du concerné, précisant que «Ghoul a refusé de répondre à la dernière question qui lui demandait d'ajouter un commentaire. Comment une affaire aussi médiatisée n'interpelle-t-elle pas le ministre, ne serait-ce que pour apporter des précisions ?» L'avocat fait remarquer que le ministre a reconnu que la délégation ministérielle partie à Hong Kong a été prise en charge par Citic-CRCC et une autre délégation est allée au Japon aux frais de Cojaal. «Est-ce que ce qui est halal pour lui est haram pour Khelladi ?», s'interroge-t-il, en rappelant que «les villas dont on parle ont été louées au profit des cadres de l'ANA et le ministre était au courant puisque Khelladi n'a fait que reconduire une mesure qui existait déjà et le ministre lui-même s'est rendu au siège de la DPN, qui était loué par Citic-CRCC. Ailleurs, Khelladi aurait bénéficié d'une protection au lieu d'être mis en prison. Ici, Khelladi est seul contre tous. Ils n'ont trouvé aucun dinar chez lui et aucun sou manquant au niveau de l'ANA et ils l'accusent de dilapidation de deniers publics. Est-ce logique ? Durant ce procès, Khelladi a subi le pire, mais il n'est pas revenu sur ses propos. Il a continué à dénoncer et à répondre à toutes les questions, à chaque fois que le tribunal estimait important d'avoir son avis. Son tort est d'avoir cité des personnes et d'avoir demandé l'ouverture d'une enquête». Me Abassi s'adresse au président : «Khelladi vous a dit ‘ayez le courage d'ouvrir le dossier de la corruption et voyez si j'ai raison. Si j'invente jugez-moi'. Il demande au président de la République d'ouvrir une enquête sur les personnes qu'il a citées et je vais le solliciter pour qu'il me reçoive en tant qu'avocat. Et lui remettre les preuves.» Me Abassi conclut sa plaidoirie en appelant le tribunal à bien réfléchir en posant les questions relatives à l'implication de Khelladi et de le déclarer non coupable parce qu'«il n'a rien fait à part dénoncer de hautes personnalités». Juste après lui trois avocats de la société Citic-CRCC, maîtres Toufik Ouali, Nabil Ouali, Chelgham et Nouri se sont succédé pour faire le bilan de ce consortium mondial composé de deux sociétés étatiques. Ils expliquent que tous les tronçons qui leur ont été affectés ont été réalisés dans les délais de 40 mois et, jusqu'à présent, aucun problème n'a été signalé. De même qu'ils ont affirmé que la prise en charge du fils de Khelladi dans un hôpital est une action humanitaire, comme celles qu'ils mènent tout au long de l'année. Maître Bergheul, avocat de Allab Kheir, va revenir sur le profil de l'avocat William Bourdon, en disant qu'il était le principal défenseur des «qui tue qui ?» qui ont attaqué l'armée algérienne durant le procès de Souaidia, en France. Il affirme qu'«il faisait du porte-à-porte chez les jeunes Algériens installés en France pour leur arracher des déclarations contre l'armée algérienne moyennant des sommes d'argent». Pour lui, «le fait qu'un document judiciaire comportant des noms d'officiers du DRS, leur adresse et leur filiation, lui soit donné pour s'en aller après est très grave». Chani réagit du fond du box : «Maître Bergheul, vous défendez votre client ou vous êtes constitué contre ma défense ?» Le juge lui demande de se calmer. L'avocat poursuit sa plaidoirie durant 30 minutes, alors que Me Sidhoum arrive en courant. C'est la fin. Il s'apprête à prendre la parole. Le procureur général s'insurge : «Respectez la procédure. C'est le parquet général qui intervient après les plaidoiries.» Des échanges de propos entre les deux hommes fusent. Le président s'énerve et annonce que les deux parties n'ont pas droit à la parole. Le procureur général insiste et cite l'article du code de procédure pénale qui stipule que c'est lui qui a le droit de parler. Le président l'autorise. Il évoque «un acharnement» contre le procureur général dans les plaidoiries et regrette que les avocats n'aient pas parlé des mesures de saisie et préféré se braquer sur les peines de prison. Selon lui, «le dossier est plein de personnes auditionnées et il n'était pas utile de les citer toutes durant l'audience». Il précise enfin qu'il existe «34 cartons contenant les pièces à conviction, saisies lors des perquisitions». Le juge donne la parole aux accusés, qui tous clament leur innocence. Chani revient sur Me Bourdon : «Si j'avais su qu'il était contre l'Algérie, je ne l'aurais jamais constitué. C'est un avocat auquel j'ai recouru pour me défendre après avoir eu de nombreux avocats algériens. Me Bergheul lui-même était mon avocat et Me Ksentini aussi puisqu'il a été destinataire de la plainte adressée au comité de Genève.» Le juge se retire et annonce que le verdict sera connu le 7 mai.