«Il est impossible de célébrer les 70 ans de la victoire contre le fascisme sans la volonté d'arracher de l'oubli ce qui s'est passé en Algérie ce même 8 Mai et les jours suivants.» «Amputer notre histoire commune par l'occultation de ce crime d'Etat est une négation du combat contre le colonialisme», affirme, dans un communiqué, le Collectif unitaire pour la reconnaissance des crimes d'Etat de 1945 en Algérie (Sétif, Guelma, Kherrata) qui s'est constitué à Paris le 14 avril 2015. Ce collectif composé d'associations, de syndicats, de partis politiques, outre cette reconnaissance, demande «l'ouverture de toutes les archives, l'inscription dans la mémoire nationale de ces événements par le biais de gestes forts des plus hautes autorités de l'Etat et un soutien à la diffusion des documentaires relatifs aux événements dans l'Education nationale comme dans les médias publics». Après le vote à l'unanimité du conseil municipal de Paris demandant au président Hollande de reconnaître ces massacres comme crimes d'Etat, il appelle à un rassemblement unitaire le 8 mai 2015 à 15h sur le parvis de l'Hôtel de Ville, à Paris, et devant toutes les mairies de France, «car le geste symbolique du secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants et de la mémoire, J.-M. Todeschini, à Sétif, demeure très en-deçà de ces revendications». A l'origine de ces revendications une pétition mise en ligne le 22 mars par l'association Les Oranges dans laquelle celle-ci, après avoir rappelé que «depuis 70 ans, ces crimes de guerre et ces crimes contre l'humanité, commis par l'Etat et ceux qui le servaient, ne sont pas reconnus» estime qu' «une telle situation est inacceptable, car elle ajoute à ces massacres l'outrage aux victimes, à leurs descendants et à leurs proches». Une brèche dans le mur du silence Ce n'est que depuis une dizaine d'années que les massacres de Sétif, Guelma, Kherrata commencent à être évoqués publiquement par les représentants de l'Etat Français. Le premier à parler de «tragédie inexcusable» le 26 février 2005 à Sétif, soit 60 ans après, c'est l'ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdières. Trois mois plus tard, dans une interview exclusive à El Watan (édition du 8 mai 2005), le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier considérait qu' «il est essentiel pour construire un avenir commun que nous arrivions à examiner ensemble le passé afin d'en surmonter les pages les plus douloureuses pour nos deux peuples. Cela suppose d'encourager la recherche des historiens, de part et d'autre, qui doivent travailler ensemble, sereinement, sur ce passé mutuel». Autre ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, affirmait à l'occasion d'un discours qu'il avait prononcé à l'université de Guelma, le 27 avril 2008, que «le temps de la dénégation est terminé». Bernard Bajolet, avait évoqué «les épouvantables massacres du 8 Mai 1945», affirmant que «les autorités françaises de l'époque ont eu une très lourde responsabilité, et qui a fait des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes, ainsi que des milliers de veuves et d'orphelins». Estimant «qu'il ne faut pas oublier que plusieurs dizaines de civils européens ont également été assassinés au cours des affrontements» et qu'il fallait «en finir avec la dénégation des injustices, des fautes et des crimes du passé, mais aussi avec les simplismes, les exagérations, le manichéisme ou l'affrontement des mémoires exploités, d'un côté comme de l'autre, à des fins politiques». Lors de sa visite d'Etat en Algérie, le président socialiste François Hollande déclarait devant les parlementaires algériens (20 décembre 2012) que «pendant 132 ans, l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal (…) et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances, il y a eu les massacres de Sétif, de Guelma, de Kherrata, qui, je sais, demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens, mais aussi des Français. Parce qu'à Sétif, le 8 Mai 1945, le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles». Si la mobilisation d'un pan de la société française, particulièrement des historiens, a eu raison de la codification des «bienfaits de la colonisation» (qui a abouti au retrait du fameux article 4 de la loi du 23 février 2005), ces mêmes citoyens français – malgré l'activisme d'un lobby nostagérique, négationniste et révisionniste qui s'oppose à tout acte de reconnaissance – expriment leur détermination à poursuivre leur action jusqu'à la reconnaissance officielle et solennelle par l'Etat français des crimes coloniaux en Algérie, loin de quelque instrumentalisation que ce soit. L'histoire pourra alors continuer à s'écrire dans la sérénité, les blessures se refermer, et les relations entre les deux pays et les deux peuples se normaliser.