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Massacres du 8 Mai 1945 : Un crime d'Etat
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Publié dans El Watan le 07 - 05 - 2015

Soixante-dix ans après les massacres du 8 mai 1945, la mémoire est toujours vive, les familles et autres descendants des victimes s'en souviennent avec affliction et amertume comme si cela datait d'hier.
Vrai, les horreurs ne s'oublient pas, on porte toujours leurs séquelles avec soi ; de quelque manière que ce soit, mais on les porte. Rompu aux affaires du prétoire, notamment celles liées au colonialisme et à l'injustice, le défunt Me Jacques Vergès avait dit l'essentiel à propos de ces massacres, et il ne serait pas inintéressant d'y revenir.
Lors d'un colloque organisé en mai 2005 à Guelma et traitant de ce sujet, le célèbre avocat avait relevé la définition, selon le code pénal français, des crimes contre l'humanité, en citant l'article 211-1 parlant du génocide et l'article 212-1 des autres crimes contre l'humanité, déportation, réduction en esclavage, pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes, etc.
«Ce fut pourtant la pratique constante de l'Occident à l'égard du reste du monde au cours des deux derniers siècles», avait-il ajouté. «Les événements de Sétif s'inscrivent parfaitement dans cette tradition, avec ce piment qu'en Europe on se prépare à poursuivre les dirigeants nazis pour crime contre l'humanité», avait-il déclaré. Evoquant les massacres ayant eu lieu à Guelma, il avait dit ceci : «Tout est entre les mains du sous-préfet Achiary.
Avec lui, pas de demi-mesures. Il ordonne l'arrestation de centaines d'Algériens ; les colons, armés, lui prêtent main-forte. Les prisonniers sont transportés par camions en dehors de la ville, à Kef El Boumba, où on les abat à la chaîne. Le sous-préfet invite les Européens à participer aux massacres ainsi : ‘‘Messieurs les colons, vengez-vous !'' Une sauvagerie comme aux premiers temps de la conquête. Blindés, artillerie, aviation...».
Et, par contre, sur un autre plan, il avait donné des statistiques révélatrices et édifiantes : «Il y a eu plus de morts algériens pour la France au cours de la Seconde Guerre mondiale que de résistants français recensés au cours de la même période.» Lors d'une interview qu'il nous avait accordée en 2006 en marge d'un colloque organisé à cet effet à l'université de Guelma, Me Jacques Vergès, décortiquant le crime perpétré en ce temps-là, en arrive à des conclusions sans appel : «Un crime que les Allemands ont commis en France, cela s'appelle Ouradour.
Ouradour a fait vingt fois moins de morts que Guelma et Sétif, mais en plus, ce qu'il y a de plus grave à Guelma et à Sétif, si Ouradour a été fait par des SS, les massacres de Guelma et Sétif ont été en grande partie accomplis par des civils, par des colons, c'est-à-dire la population y a participé. Mais qui a donné les armes à la population ?
C'est l'Etat, c'est un crime d'Etat.» A la question de savoir si cela était justiciable, il avait répondu : «En théorie, cela relève de la justice parce que vous avez les crimes qui ont été commis pendant la révolution, les accords d'Evian ont fait l'amnistie des deux côtés, si bien que M. Aussaresses peut avouer aujourd'hui avoir liquidé des centaines de prisonniers algériens, et on ne peut pas le poursuivre pour cela, mais les crimes de 1945 n'ont pas été amnistiés par Evian. Or, les crimes de 1945, d'après la définition française même des crimes contre l'humanité, sont imprescriptibles. Si cela n'est pas justiciable, l'important, c'est surtout le fait que la France les reconnaisse.
Toute société a deux visages, un visage d'épouvante et un visage humain. Que la France rejette ce visage d'épouvante, cela ne peut servir que son visage humain, ce n'est pas pour cela que la France se renie, c'est au contraire à son honneur. Je ne vois pas pourquoi on ne le fait pas, c'est une maladie française, c'est une maladie des Européens et surtout de l'Occident. Ils sont supérieurs à tout le monde, ils sont là pour dicter leur loi aux Irakiens, aux Iraniens, aux Peaux-Rouges, etc. Tout ce qui n'est pas européen n'est pas humain.
Vous n'avez qu'à voir l'exemple d'Alexis Tocqueville, il a écrit des œuvres subtiles sur la société américaine blanche, sur la fin de l'ancien régime en France, mais quand il s'agit de l'Algérie, il dit qu'on a le droit d'incendier les récoltes, de razzier les richesses, de prendre comme captifs les femmes et les enfants et de tuer les hommes, c'est-à-dire que le colonialisme est fondé sur le mépris de l'autre (...) les autres n'existent pas.»
Concernant l'attitude de la France face à ces crimes, il avait été on ne peut plus clair : «La France, non pas celle qui ordonne de glorifier la colonisation dans les livres scolaires, mais celle du discours de Pnom Penh, celle qui a reconnu sa responsabilité envers les juifs livrés aux nazis, fût-ce par un gouvernement illégitime, celle qui s'est opposée à la guerre contre l'Irak, cette France-là s'honorerait en reconnaissant sa responsabilité dans les massacres du 8 Mai et sa dette envers le peuple algérien.»


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