Avocat célèbre, ami de l'Algérie, maître Jacques Vergès qui n'est plus à présenter aux Algériens a bien voulu répondre à nos questions. Vous avez dit dans une de vos déclarations que la France doit reconnaître ses génocides en Algérie. Selon vous, avec le déplacement de l'ambassadeur de France à Sétif et son recueillement sur les tombes des martyrs, serait-ce le début de cette reconnaissance ? Je le souhaite. Ce que je disais dans mon intervention, c'est que ce qui s'est passé à Sétif et à Guelma, le 8 mai, constitue, d'après la loi internationale et la loi française, des crimes contre l'humanité. Quand on voit à Guelma tuer des femmes parce qu'elles sont Algériennes, tuer des bébés parce qu'ils sont Algériens, nous sommes tout à fait dans le cadre du crime contre l'humanité. Et cela est authentifié en plus par le discours du sous-préfet Achiary, un personnage officiel, disant aux colons : « Vengez-vous ! », mais en plus qui était accompagné de prisonniers fascistes italiens, de miliciens pour tuer des Algériens. Donc, nous avons là typiquement un crime contre l'humanité et le crime contre l'humanité est imprescriptible, selon la loi française elle-même. Et ces crimes-là, à la différence des crimes commis pendant la guerre de Libération, qui, d'après les Accords d'Evian sont amnistiés, ceux du 8 Mai 45 ne sont pas amnistiés. Il y a eu des poursuites contre des militants nationalistes, qui ont été condamnés, certains à mort, et puis d'autres ont été amnistiés, mais les crimes contre l'humanité commis n'ont pas été reconnus, donc ils n'ont pas été poursuivis et amnistiés. On connaît les noms : Lestrade-Carbonnel, Achiary, Olivier... Mais il y a certainement des gens plus jeunes et puis des photos montrant des colons avec leurs fusils de chasse. Donc, un procès est possible, si jamais on en retrouve un. Cela étant, il y a autre chose aussi : si ces crimes sont imprescriptibles, il y a ce qu'on appelle une Cour pénale internationale dont la France reconnaît la compétence. Une plainte doit être portée également devant la Cour pénale internationale. Cette plainte peut être déposée par les descendants des victimes par exemple ? Par n'importe qui. Parce que dans la Cour pénale internationale, il n'y a pas de partie civile. Vous dénoncez un crime et c'est à eux d'agir. La France ferait-elle un jour des excuses au peuple algérien ? Moi, je pense qu'il y a une France simple et comme dans d'autres pays, il y a aussi des contradictions ; il y a une France qui impose de mettre dans les livres scolaires la glorification de la colonisation ; il y a une France qui dans les décisions du Parlement considère que les gens de l'OAS sont morts pour la France. ça, c'est une certaine France. Mais il y a une autre France, c'est celle du discours de Phnom Penh, c'est celle qui a refusé l'agression en Irak, c'est celle qui a reconnu la responsabilité des autorités françaises dans la déportation des juifs vers l'Allemagne, même si c'était fait pas un gouvernement qui n'était pas légitime. Tandis que ce qui s'était passé le 8 mai 1945, c'est sous l'autorité d'un gouvernement légitime. Moi, je pense que ce qui s'est passé en mai 1945 sous l'autorité d'un gouvernement légitime et qui engage donc la responsabilité de la nation tout entière, il ne serait pas déshonorant pour les autorités françaises aujourd'hui de reconnaître la pleine responsabilité de la France dans ce domaine et sa dette envers le peuple algérien.