Après une abondance pluviométrique dans les zones céréalières durant le premier trimestre de l'année, les terres agricoles manquent fortement d'eau depuis le mois de mars. Le non-recours à l'irrigation d'appoint par les agriculteurs rend la situation plus difficile. La céréaliculture risque donc de payer chèrement ce déficit en pluie. Ce qui ne sera pas sans effet sur la facture d'importations. Abdelwahab Nouri, le ministre sortant de l'Agriculture chargé depuis le remaniement de jeudi dernier de gérer un autre secteur stratégique en l'occurrence, l'a d'ailleurs mentionné lors d'une de ses récentes sorties médiatiques. «La récolte céréalière risque d'être mauvaise si la pluie n'est pas au rendez-vous durant cette période charnière pour la maturation des plantations», avait averti Nouri, en marge de la dernière rencontre d'évaluation trimestrielle de son secteur. Et c'est le cas aujourd'hui, puisque la pluie n'est toujours pas au rendez-vous comme espéré par les acteurs de la filière. «Avec trois mois sans pluie, l'agriculture a pris un sérieux coup, particulièrement la céréaliculture. La récolte s'annonce très mauvaise. Le recours aux importations massives, que ce soit pour le blé ou pour l'orge sera systématique», regrette d'ailleurs Mohamed Allioui, secrétaire général de l'Union nationale des paysans algériens (UNPA). Avançant que 50% de la récolte est compromise, le représentant des fellahs parle carrément de «catastrophe» à la lumière des informations inquiétantes reçues auprès des céréaliculteurs à travers le pays. Les inquiétudes de l'UNPA et les assurances du CIC «La production sera très faible par rapport à l'année dernière. Les épis sont pratiquement vides», notera-t-il encore. Et de relever toutefois que les résultats sont satisfaisants au niveau des régions sahariennes où la campagne moisson-battage a déjà commencé. C'est le cas, à titre illustratif, à Ouargla, Ghardaïa, El Oued et Adrar. Dans cette dernière wilaya, il a été enregistré, selon M. Allioui, un rendement de 62 quintaux à l'hectare, résultat de l'utilisation de l'irrigation d'appoint. Un point qui redonne de l'espoir à d'autres acteurs de la filière, à l'image de Amar Benamor, président du conseil interprofessionnel des céréales (CIC) qui nous dira : «C'est vrai qu'il y a une insuffisance de pluie, mais il y a des agriculteurs qui utilisent l'irrigation d'appoint». Un point à ne pas négliger pour M. Benamor, qui préfère écarter le scénario catastrophe. «Rien ne dit que la récolte sera faible. Personne ne peut donner des chiffres à ce sujet. Ne tombons pas dans la surenchère et ne favorisons pas la spéculation. C'est dans l'intérêt du pays», poursuivra le président du CIC, sans vouloir tomber dans l'alarmisme. Mais la réalité est bien là, selon Laâla Boukhelfa, expert agricole. De l'avis de ce dernier, avec un rendement moyen de 17 quintaux à l'hectare, la production est loin d'être suffisante par rapport aux besoins. Exemple, l'année dernière (2013-2014), la production était de 34 millions de quintaux pour une consommation de 150 millions, soit 110 millions d'importations. Tout cela faute d'un système d'irrigation développé. Car, faut-il le rappeler, même si le pays est situé dans l'une des régions du monde les plus déficitaires en eau, la filière est conduite avec un régime basé majoritairement sur les précipitations. Ce qui la laisse dépendante des aléas climatiques, et c'est ce qui est à l'origine de l'instabilité des rendements d'année en année. Cette situation explique par ailleurs les importants écarts de production entre les différentes régions du pays. Les spécialistes ne manquent pas d'appeler au développement de l'irrigation d'appoint pour assurer des rendements élevés et réduire la marge d'incertitude, comme c'est le cas actuellement. «Avec seulement 100 000 hectares de terres céréalières irriguée en appoint, difficile de garantir de bons rendements et de réduire les importations», explique à ce sujet le représentant de l'UNPA qui ajoutera : «Pour être vraiment à l'aise, il faudrait au moins atteindre à travers toutes les régions une moyenne de 60 quintaux à l'hectare». Mais quand les agriculteurs ne peuvent pas s'équiper des moyens nécessaires pour l'irrigation, l'incertitude sera toujours de mise. Ce que le gouvernement tente de prendre en charge. Comment ? En appelant les céréaliculteurs à recourir à certaines techniques d'irrigation économiques, efficaces et subventionnées par l'Etat, à l'exemple de l'irrigation à pivot central. L'irrigation d'appoint : l'ultime recours Or, cette technique tarde à être généralisée. Dans la majorité des cas, comme le souligne un rapport sur l'efficience des systèmes d'irrigation en Algérie, les réseaux d'irrigation sont vétustes et connaissent des problèmes de maintenance et de gestion. Ce qui fait que les besoins en eau sont très loin d'être assurés pour les superficies emblavées. Des manquements que le programme national arrêté dans le cadre du quinquennat 2015-2019, à savoir porter la superficie agricole irriguée à 2 millions d'hectares, envisage de combler. Mais là aussi, faudrait-il respecter les délais mais surtout assurer les financements nécessaires à cet effet. Une étude datant de 2012 a évalué l'opération d'équipement d'une superficie de 1,2 million d'hectares pour la production de céréales par système d'irrigation d'appoint à 150 milliards DA. Le bureau a ciblé un rendement de 30 quintaux/ha, soit une production de 37,2 millions de quintaux annuellement. L'étude en question a identifié un potentiel de 2,4 millions d'ha possibles à irriguer à partir des eaux superficielles (barrages, retenues collinaires...) et souterraines. Pour cela, il faudrait, de l'avis des experts, plus de retenues collinaires, plus de techniques pour éviter le ruissellement et favoriser l'infiltration de l'eau vers les nappes phréatiques. De même qu'il y a lieu d'assurer la construction de réservoirs pour le stockage hivernal de l'eau. Un travail de longue haleine s'annonce donc si l'on veut en finir avec la dépendance vis-à-vis des aléas climatiques et des fluctuations du marché international des céréales. Les résultats seront-ils au rendez-vous ? Sinon, comment expliquer le recul de la production au moment où l'Office interprofessionnel des céréales (OAIC) a mis en place un ambitieux programme d'irrigation de 600 000 hectares ?