L'exposition «Dess(e)in» de Mehdi (alias Bardi) Djellil se tient actuellement, et jusqu'au 16 juin, à «La Baignoire». Cet espace, créé par l'écrivain Samir Toumi dans les locaux de son entreprise située à Alger, nous dévoile encore une fois une œuvre à la pointe des nouvelles expériences artistiques de la jeune génération. Dans cette première exposition individuelle, le jeune peintre affiche déjà un univers bien affirmé. Un monde grotesque habité par d'étranges créatures. Ses personnages difformes, purulents, en décomposition (ou en gestation ?), pantins désarticulés, monstres, chimères, pauvres bougres marginaux qui n'ont que leur maladresse en guise de langage, sont finalement profondément humains. Avec son coup d'œil attentif, Bardi capte des postures, des rictus, des entortillements de doigts familiers et les pousse, au-delà de la caricature, vers l'aberration et la déformation totale. Le geste quotidien et la grimace ordinaire sublimés par l'artiste se révèlent comme autant de façons d'être au monde incarnées par des personnages burlesques. Mais du fond de leur univers déglingué, voire cauchemardesque, ces personnages conservent des traces de leur origine familière et quotidienne… Et cela les rend attendrissants. En effet, si l'œuvre paraît de prime abord comme une vision d'horreur et de dégoût de la race humaine, elle dénote pourtant d'une profonde empathie pour l'humain, même dans sa laideur et jusque dans sa monstruosité. Non pas l'humain comme catégorie abstraite, mais le quidam, le «n'importe qui», l'autre-là et, finalement, notre prochain. «Rien de ce qui est humain ne m'est étranger», semble répéter l'artiste au bout de chaque œuvre. Une sorte d'éthique de l'esthétique, ou l'inverse. Qu'on ne s'y trompe pas. Certes, Mehdi Djellil dessine le grotesque, mais il ne dessine pas de façon grotesque. Ses encres révèlent un trait d'une redoutable précision et finesse. Devant ses motifs finement ciselés, ses dorures et ses minutieux dégradés de couleurs, on se prendrait presque à penser à l'art de la miniature. Mais une miniature tout droit sortie du laboratoire du Docteur Frankenstein ! D'ailleurs, devant l'expressivité minutieuse des dessins (qui s'impose jusque dans le titre de l'exposition), les audacieuses couleurs des tableaux paraissent presque comme un surcroît d'expression, brouillant le trait originel qu'on devine sous la peinture. Libérée des carcans de la peinture figurative, la peinture de Mehdi Djellil ne s'enfonce pas pour autant dans les conformismes et les modes d'un certain «art contemporain». La piste qu'il explore est plus personnelle : «On m'a souvent traité d'imbécile. Ça m'a travaillé. J'étais un peu l'imbécile de la meute. On m'a traité de kelb, hmar, bghel, débile, bête, traître, ivrogne, clown, bouffon, mahboul, machi argaz… Ce sont les titres de mes dess(e)ins. ça a donné des œuvres magnifiques», énonce l'artiste sans fausse modestie. Walid Bouchakour