«c'est dans mes projets de travailler pour des pièces en arabe avec des compositeurs actuels comme salim dada, par exemple…/ puisque l'opéra en arabe et en berbère n'existe pas, pourquoi ne pas le créer ? / c'est vrai que cela reste toujours frustrant de ne pas chanter dans sa langue maternelle...» Pour votre dernier album, Populaires, vous avez choisi de montrer les passerelles qui existent entre musiques populaires et classique, pourquoi ? On a eu un coup de cœur avec mon pianiste, Nicolas Jouve, sur deux ou trois cycles de mélodies. D'abord, les «Mélodies populaires» de Maurice Ravel, puis les «Volkslieder» de Johannes Brahms et, voyant qu'il existait un répertoire très large, on a pensé à monter tout un programme de mélodies populaires. De là, on a creusé dans le répertoire… A côté de Brahms ou Ravel, on découvre des compositeurs beaucoup moins connus… On ne voulait pas reprendre des pièces connues comme les cycles de Manuel de Falla par exemple. On voulait faire découvrir des pièces moins connues mais tout aussi belles. C'est ainsi qu'est né ce programme de mélodies populaires. Ravel et Brahms sont les deux compositeurs les plus connus. Après, on a Henri Collet, qui est un compositeur français très attiré par la musique espagnole ; Jésus Guridi, qui n'est pas très chanté non plus, je pense qu'il n'existe qu'un seul enregistrement de ses mélodies, et Ottorino Respighi qui est un compositeur italien tombé amoureux des paysages et des musiques d'Ecosse. On vous a déjà entendue dans des arrangements classiques de musique arabo-andalouse et maghrébine ; l'album est-il dans la continuité dans ces expériences de dialogue ? C'est un pan de mes projets personnels. Je suis principalement chanteuse d'opéra, mais j'ai aussi ce récital de chant piano avec Nicolas Jouve et ce répertoire sera enrichi à l'avenir. Il y a aussi le pan «traditionnel» avec une petite formation de chambre, comme cela se faisait dans les palais andalous. On ne voulait pas d'un grand orchestre qui joue une monodie avec le piano, le violoncelle, etc. Avec Rachid Brahim Djelloul, mon frère qui est musicologue, on voulait reconstituer l'esprit de l'interprétation arabo-andalouse pour un voyage autour du bassin méditerranéen où les Andalous sont allés vivre, laissant leur empreinte et s'enrichissant des autres cultures. Cela va donc de la musique andalouse à la musique turque en passant par la musique espagnole, marocaine, tunisienne, grecque... De ce programme est né l'album Souvenirs d'Al Andalus. Par ailleurs, Rachid Brahim Djelloul et Smail Benhouhou ont également arrangé des chansons pour orchestre symphonique. Pour ce projet, Iddir m'a gentiment permis d'interpréter deux de ses titres et cela a très bien fonctionné. J'aimerais bien enrichir cette partie de mon répertoire dans le futur. Comment abordez-vous l'interprétation de ces genres musicaux très différents ? Je ne chante pas de la même manière quand j'interprète du classique et quand je chante d'autres musiques. Je ne vais pas projeter ma voix avec force, comme je pourrais le faire sur une mélodie de Brahms, pour interpréter un air traditionnel. Mais la même personne peut chanter dans différents styles. Vous pouvez me prendre comme dénominateur commun entre tous ces répertoires. Comment vivez-vous votre origine algérienne dans le monde de l'art lyrique ? Je suis née en Algérie et j'ai grandi en Algérie. Je n'ai pas grandi dans le chant lyrique, même si je faisais déjà du violon classique au départ… Tout dépend de la manière dont on se positionne. Si on se dit qu'on n'est pas à sa place, c'est sûr que les choses vont s'articuler d'une certaine façon. Mais si on est bien dans sa peau et qu'on se sent crédible, on arrive à surmonter les obstacles. J'ai eu les mêmes chances que les autres (Japonais, Russes, allemands, Français…) au Conservatoire de Paris. Certes, au départ je n'avais pas baigné dans le monde de l'art lyrique, mais je suis douée quand même ! J'ai un don et je l'ai travaillé. J'ai eu de très bons résultats en fin de cycle au Conservatoire de Paris, et puis la carrière a suivi. Aujourd'hui, il m'arrive de me dire : «Quand même, j'ai fait du chemin !» C'est une satisfaction personnelle de se retrouver avec John, Jacques ou Mélanie… Oui, c'est possible. C'était une première victoire d'arriver dans ce monde et de se sentir complètement légitime. Vous avez également apporté du nouveau grâce à votre culture musicale algérienne… C'est seulement après ma formation classique qu'est venue la volonté de revenir aux musiques algériennes et de chanter dans les langues maternelles. Il n'y avait pas d'opéras en arabe ou, du moins, ce qui existait ne me parlait pas forcément. C'est d'ailleurs dans mes projets de travailler avec des compositeurs actuels (comme Salim Dada par exemple…) pour des pièces en arabe. Puisque l'opéra en arabe et en berbère n'existe pas, pourquoi ne pas le créer ? C'est vrai que cela reste toujours frustrant de ne pas chanter dans sa langue maternelle. Finalement, cette origine peut aussi être un atout ; non ? C'est complètement un atout. Quand on a une langue aussi riche que l'arabe dans la bouche, on a plus de facilité pour prononcer l'italien, l'allemand ou l'anglais… Ce n'est pas une langue paresseuse, c'est une langue très active. Les Français ont plus de difficultés à bien prononcer les langues étrangères. Vos projets ? Beaucoup d'opéra : je serai à l'Opéra de Limoges dans La Princesse de Trébizonde de Jacques Offenbach, puis j'irai à Washington pour être Gontran (Ndlr : un rôle féminin en fait) dans Une éducation manquée d'Emmanuel Chabrier… J'ai aussi des projets avec des orchestres baroques, des projets avec mon pianiste mais aussi un projet de création contemporaine avec le compositeur libanais Zad Moultaka sur des poèmes d'Adonis…