«Parmis les Algériens , 25% sont prêts à quitter le pays.» C'est ce qu'a déclaré le sociologue Nacer Djabi en s'appuyant sur les résultats d'un récent sondage. C'était lors d'une rencontre organisée par le collectif Nabni autour de l'identité algérienne et le «récit national», qui s'est tenue samedi soir au restaurant Havana (Saïd Hamdine). Outre l'éminent sociologue, Nabni a convié l'ancien gouverneur de la Banque centrale, Abderrahmane Hadj-Nacer, ainsi que l'ancien président du PRA, Noureddine Boukrouh, pour débattre de cette question. A noter que cette thématique inaugure un nouveau cycle de réflexions sur des questions sociétales initié par le think tank, Nabni sous le titre «L'Algérie rêvée». Ainsi, à l'heure où nous célébrons le 53e anniversaire de l'indépendance de notre pays, le quart de la population est disposé à s'exiler sous d'autres cieux si l'occasion lui en était offerte. Nacer Djabi a tenu à souligner que les personnes interrogées estiment que «les conditions économiques sont plus ou moins bonnes». Par-delà les conditions socioéconomiques, ces chiffres mettent naturellement en cause la qualité de la vie en Algérie, estime le sociologue, indépendamment du niveau économique. Il n'est, dès lors, pas interdit d'inclure la situation politique et culturelle, et le «climat général» comme mobiles justifiant ce puissant désir de changer d'air qui travaille au corps des millions de nos compatriotes. 55% des Algériens «moyennement pratiquants» Nacer Djabi a présenté au cours de sa brillante intervention d'autres chiffres, tout aussi significatifs, qui constituent un véritable tableau clinique de l'état de notre société. D'abord, quelques indications méthodologiques. Contacté par nos soins, le sociologue a tenu à préciser que les résultats qu'il a présentés étaient, en vérité, le fruit de quatre sondages réalisés à différentes périodes : 2006, 2011, 2013 et 2015. Les trois premiers sondages ont été menés dans le cadre du programme Arab Barometer tandis que le sondage réalisé en 2015 a été fait dans le cadre du programme Arab Transformation (ArabTrans). Il s'agit d'un projet de recherche chapeauté par l'université d'Aberdeen (Ecosse) et financé par l'Union européenne. Il a pour objectif d'étudier de plus près les effets du «printemps arabe». Ce projet est mené en partenariat avec des centres de recherche de sept pays : l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Libye, l'Egypte, l'Irak et la Jordanie. «Cela obéit à la démarche des sondages comparatifs», explique le sociologue. Pour la partie algérienne, c'est une équipe de recherche du Cread dirigée par Nacer Djabi qui a mené cette enquête d'opinion. Outre M. Djabi, chef de projet, celle-ci compte également les chercheurs Mohamed Benguerna, Louisa Aït Hamadouche et Fadila Akkache. Le sondage réalisé en 2015 porte sur un échantillon de 2000 personnes réparties sur tout le territoire national. Nacer Djabi insiste sur le fait qu'il s'agit là d'un échantillon on ne peut plus représentatif quand on sait que l'échantillon standard adopté en sciences sociales tourne autour de 1200 personnes. «L'une des questions centrales était : Comment les Algériens se perçoivent-ils ? Quelles représentations nos concitoyens ont-ils d'eux-mêmes ?», dit l'auteur d'Algérie, l'Etat et les élites (Chihab, 2008). «40% se définissent avant tout comme Algériens, 36% se définissent comme musulmans, 7,9% se présentent comme Arabes, 7,2% comme Amazighs et 3% se définissent en faisant référence à la région où à la ville dont ils sont issus», rapporte le sociologue. Ainsi, selon ce sondage, la frange dominante est la référence à la patrie, tandis que le référent religieux arrive en second lieu. Explorant la relation qu'entretiennent les Algériens avec la religion, le conférencier indique que «55,6% répondent qu'ils sont ‘‘moutadayinine ila had ane ma'' (pratiquants jusqu'à un certain degré) et 32% affirment qu'ils sont pratiquants assidus (‘‘moutadayinnine'')». Toujours selon le même sondage, «entre 5 et 8% disent qu'ils sont non pratiquants (‘‘ghayr moutadayyinine'')». 1,2% seulement des Algériens adhère à un parti politique Le sociologue révèle, par ailleurs, que «76% des Algériens disent qu'ils ne font pas confiance à la majorité des gens» et seulement 18% font confiance à leurs compatriotes. Et ils font d'autant moins confiance à nos politiques : «1,2% des Algériens adhère à un parti politique», souligne le sociologue. «Le parti est l'institution la moins légitime aux yeux des Algériens», analyse-t-il. Autre aspect abordé, la qualité de la gouvernance avec, à la clé, cette question : «Le gouvernement et l'Assemblée des députés élaborent-ils les lois selon la volonté des gouvernés ?» 50,4% répondent par oui tandis que 40% estiment que le gouvernement et les députés ne décident pas selon la volonté du peuple. Dans la foulée, cette question-clé: «Pensez-vous que les lois doivent être promulguées selon la charia islamique ?» Nacer Djabi affirme à ce sujet que 76% des personnes interrogées se disent favorables à ce que les lois de la République se basent sur la charia tandis que 12% sont contre. Enfin, «50% des Algériens estiment que la démocratie est compatible avec l'islam», selon ce même sondage. Commentant ces résultats, le chercheur souligne que «les positions modernistes ouvertes sur l'universalité représentent un tiers de la société, soit un Algérien sur trois. Et les deux tiers expriment en général des positions conservatrices proches des courants religieux ou conservateurs». Et de conclure : «Il y a un travail qui doit être fait en Algérie vis-à-vis des citoyens afin de changer ces proportions et faire en sorte qu'au lieu d'avoir un Algérien sur trois (acquis à la modernité), nous aurons deux Algériens sur trois concernant ces positions.» Nous reviendrons, par le menu, dans nos prochaines éditions, sur ce passionnant débat et notamment sur les interventions magistrales de Abderrahmane Hadj-Nacer et Noureddine Boukrouh.