Une année est passée depuis l'amorce de la chute des cours du pétrole sur le marché international. Une année durant laquelle les incertitudes sur l'économie nationale se sont renforcées avec la baisse des recettes des hydrocarbures, mais surtout en l'absence d'une véritable stratégie de relance économique. Tout au long de cette période, les annonces pompeuses portant sur l'appui à l'investissement, les mesures liées à la rationalisation des dépenses et les appels à l'austérité budgétaire n'ont pas manqué. Mais en réalité, rien de concret n'a suivi depuis. «L'Algérie est aujourd'hui confrontée à un effondrement des cours des hydrocarbures. Cela affecte les revenus extérieurs de l'Etat et nécessitera une rationalisation accrue dans la gestion des finances publiques pour traverser cette perturbation économique mondiale», a souligné le chef de l'Etat dans son dernier message adressé à la nation à l'occasion du 53e anniversaire de l'indépendance. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a abondé dans le même sens lors d'une visite effectuée à Alger, tout en insistant que son gouvernement a opté pour la «rationalisation» des dépenses publiques et non pour «l'austérité». De leur côté, les experts n'ont pas manqué d'avertir à ce sujet. «Attention, en cas de non-rationalisation de la dépense publique corrélée avec la chute du cours des hydrocarbures, on risque de revenir au même scénario de 1994», prévient l'économiste Abderrahmane Mebtoul. Pour ce dernier, à la cadence des déficits engendrés par le remboursement de la dette interne composée, pour rappel, de la dette courante (bons de Trésor) et des dettes dites d'assainissement, et financées par le Fonds de régulation des recettes (FRR), ce dernier risque de s'épuiser courant 2016. «Le risque est d'éponger tant le Fonds de régulation des recettes ainsi que les réserves de change à l'horizon 2020», nous dira-t-il. L'expert rappellera dans le même sillage que l'Algérie a puisé dans les réserves de change entre juin 2014 et mars 2015 plus de 32 milliards de dollars soutenant le cours officiel du dinar à environ 100 DA pour un dollar. Un dérapage évalué depuis janvier 2014 d'environ 25%, «mais, il faut éviter l'illusion monétaire, l'Algérie étant une économie rentière dépendante à la fois du cours du pétrole et du dollar, et ce, depuis 1963 à 2014», prévient M. Mebtoul qui s'interroge sur le prix de revient des services du chef du Gouvernement, des différents ministères et des wilayas et APC, de nos ambassades , du coût des différents séminaires, et réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne au moment ou l'on parle de la nécessité de rationaliser les dépenses publiques. Or, précisera notre économiste, «la rationalisation renvoie fondamentalement aux choix dans l'allocation sectorielle d'investissement devant privilégier les segments à valeur ajoutée durable dont l'économie de la connaissance, les entreprises publiques privées locales et internationales, les infrastructures n'étant qu'un moyen, la lutte contre la mauvaise gestion et la corruption». De même «qu'elle renvoie à la rationalisation de l'Etat dans ses choix en tant qu'identité de la représentation collective, en fait inséparable de la question de bonne gouvernance. Quand on parle d'austérité, il faut serrer les budgets, mais ce n'est pas le cas. On le voit d'année en année, les dépenses de fonctionnement ne font qu'augmenter », estime pour sa part l'économiste Ahmed Mokaddem. «On ne peut pas parler d'austérité dans ce cas. Il faut plutôt parler d'efficacité et de rationalité», ajoutera t-il. Ce que nous dira aussi Wassim Benhacine, du collectif Nabni. «Ce qu'il faudrait, en ces temps de vaches maigres, c'est une plus grande efficacité dans la dépense publique, c'est-à-dire revoir au cas par cas les différentes politiques et les différents projets qui peuvent être retardés, redimensionnés ou simplement arrêtés à moindre coût. Arrêter les politiques inefficaces et coûteuses», plaidera-t-il. Salah Abci, consultant, abonde dans le même sens : «Si on parle d'austérité, l'Etat doit faire des économies sur les dépenses de fonctionnement et en parallèle injecter ces économies dans l'économie productive», nous dira M. Abci. En d'autres termes, ne pas appliquer l'austérité sur l'économie productive et chercher des niches pour produire et assurer l'efficacité des dépenses. Comment ? En réponse à cette question, Ahmed Mokaddem posera la problématique de la maturation des projets en attendant des mesures concrètes du côté du ministère des Finances. Mais de manière générale, pour ne pas subir les chocs externes, il faut éviter aux banques de financer des projets non productifs. «C'est difficile de le faire, car il faudrait que l'économie soit forte», reconnaît M. Mokaddem, donnant l'exemple de l'Argentine qui a réussi à sortir du gouffre. «C'est un cas d'école à suivre. Il faut que les gens fassent preuve d'imagination et ouvrent les yeux sur ce qui se fait ailleurs», poursuivra notre expert. «Les mesures d'austérité qui réduisent les dépenses de l'Etat, les aides sociales, les biens publics (santé, éducation…) auront des conséquences socioéconomiques désastreuses, comme l'ont clairement montré les expériences internationales», avertit pour sa part Kouider Boutaleb. Le plus important est de faire en sorte que les importations n'augmentent pas au même rythme que les années précédentes et de mettre en place les outils nécessaires à la relance. «Importer les biens d'équipements qui nous permettent de produire et bannir l'importation des produits destinés à la consommation rapide», notera dans ce cadre M. Abci. Protéger les couches sociales vulnérables Par ailleurs, à l'unanimité nos experts ont relevé la nécessité de revoir le système des subventions pour faire des économies. «Avec les subventions par les prix, on est en train d'aider aussi bien les riches que les pauvres. Dans ce cadre, il y a beaucoup d'argent qui peut être récupéré. La population doit apprendre à acheter les produits à leur valeur réelle, et l'Etat a beaucoup à gagner dans la politique de la subvention en commençant par jouer sur la subvention», notera à ce sujet M. Abci, ce que rappelle par ailleurs le Cercle d'action et de réflexion autour de l'entreprise (CARE) qui a appelé la semaine dernière à rééquilibrer les mécanismes du système des subventions pour qu'il soit plus juste sans exposer l'Algérie à des troubles sociaux. Un point de vue partagé par M. Mebtoul qui conclura : «Pour éviter une austérité qui toucherait les couches sociales les plus défavorisées, il faudra à la fois avoir une vision ‘‘juste'' de la justice sociale. Ne pouvant demander des sacrifices aux catégories le plus vulnérables sans une solidarité collective et de mieux gérer l'allocation des ressources par des économies de gestion, il y a lieu de lutter contre les surcoûts exorbitants, diminuer le train de vie de l'Etat qui doit donner l'exemple, renvoyant à la moralité de ceux qui dirigent la Cité». Globalement, pour les économistes contactés à cet effet, le problème en Algérie ne relève pas de la simple conjoncture qu'il faut traiter avec les leviers traditionnels des politiques de rigueur budgétaires. «Le problème, tout le problème réside dans la dépendance quasi-totale vis-à-vis de la rente des hydrocarbures, capital non reproductible. Il s'agit par conséquent de trouver d'autres sources de richesse pour assurer le financement des services publics indispensables à la collectivité nationale. C'est toute la problématique de la diversification économique sans laquelle, à terme plus ou moins rapproché, les politiques publiques se retrouveront inévitablement face à des impasses autrement plus préoccupantes qu'elles ne le sont actuellement», fera remarquer pour sa part l'enseignant universitaire Kouider Boutaleb.