Des eaux usées coulent dans de nombreux cours et canaux d'évacuation non dallés qui défigurent et empoisonnent la ville qu'ils traversent. Si la pluie et le froid de l'hiver camouflent la pestilence, la chaleur de l'été l'exalte et la fait fleurir. Exacerbée par la montée du mercure, les mauvaises odeurs qui se dégagent des nombreux oueds et canaux d'évacuation des eaux usées à ciel ouvert qui sillonnent la ville de Béjaïa, de long en large et en travers, pourrit littéralement la vie aux habitants. Flâner dans certains quartiers c'est risquer d'avoir le cœur au bout des lèvres. Se pincer le nez et presser le pas pour en ressortir sont alors recommandés. Si s'éclipser est faisable pour le passant ou le visiteur occasionnel écœuré, les résidants de ces quartiers, eux, n'ont point de choix que de composer, impuissants, avec la pestilence, les invasions de moustiques, de mouches et de cafards, et le pullulement des rats qui trouvent leur compte dans cet environnement intenable et en constante détérioration. Trouver une solution à l'assainissement des rejets domestiques à l'air libre, qui a fait couler beaucoup d'encre et de salive à Béjaïa, est pourtant sans cesse revendiqué. En dépit des risques que cela fait peser sur la santé publique, les pouvoirs publics se complaisent dans leur passivité et semblent totalement ignorer l'ampleur de la menace. Assainissement à l'air libre L'existence de ces canaux remonte, dit-on, à la dernière décennie de l'occupation française. Ils ont été conçus, à l'origine, pour drainer les crues afin d'éviter les inondations en période de forte pluviométrie, dans une zone dont l'altitude est égale ou parfois même inférieure au niveau de la mer. Il s'agit d'une vieille technique du génie hydraulique, aujourd'hui obsolète, en usage dans les régions côtières facilement inondables et à basse altitude, nous explique un étudiant en hydraulique. La démographie galopante, l'expansion frénétique des dernières décennies et l'absence d'un plan d'évacuation des eaux usées en particulier, et d'un plan d'urbanisation en général ont transformé de fait ces canaux en un gigantesque réseau d'assainissement à l'air libre. Par conséquent, le cadre de vie et la qualité de l'air en ont pris un sérieux coup. Les habitants sont outrageusement importunés et le risque de contracter des maladies respiratoires ou autres, liées à l'inhalation à longueur de journée des puanteurs qui émanent de ces canaux est très grand. «Habiter de manière durable à proximité d'un cours d'eaux usées augmente trois fois plus le risque de maladies inflammatoires graves à l'image de la méningite ou la conjonctivite, sans parler des maladies respiratoires et d'autres maladies que peuvent provoquer des vecteurs comme les moustiques, les mouches, les cafards, ou les rats qui prolifèrent en ce milieu», avertit un médecin. «Cela fait bientôt cinq ans que j'habite le quartier Seghir, dans un appartement que j'ai acheté. Aujourd'hui, je regrette d'avoir opté pour ce quartier, au regard des désagréments que ma famille et moi subissons, à cause des eaux usées qui coulent à fort débit à quelques mètres de l'immeuble», se plaint un habitant, rencontré sur la terrasse d'un café maure de son quartier, juste après la rupture du jeûne. D'ailleurs, au moment où notre interlocuteur faisait entendre ses jérémiades, une flopée de rats d'égout se sent bien dans son élément au milieu d'un amas d'ordures déposées par les riverains. C'est le même spectacle tout au long de ce canal que bordent d'un côté des commerces, souvent de restauration, et de l'autre, des cités universitaires. Dallage Pour écarter les dangers et les désagréments que font peser ces canaux sur la santé publique et le cadre de vie de la population, le dallage est le moyen le plus indiqué. D'ailleurs, plusieurs opérateurs privés ont demandé leur concession pour dallage, en vain. Seules certaines parties sont couvertes par la direction des ressources en eau (ex direction de l'hydraulique) suite à de multiples plaintes des habitants et, sans doute, pour sa proximité immédiate du siège de la wilaya. C'est le cas du cours qui afflue de Dar Nacer et qui traverse le cœur de la ville. La direction de l'hydraulique de la quelle il relève tout autant que la majorité des autres canaux, l'a couvert dans sa partie qui traverse le quartier Daouadji. Selon un élu de l'APC de Béjaïa, la partie supérieure (Sidi Ahmed) serait aussi en travaux. Non pas forcément pour dallage, puisque, selon le responsable, couvrir un canal n'est pas toujours la solution, de plus, ajoute-t-il, ce moyen pose un problème dans les opérations de curage. Les exemples de canaux dallés se comptent, de ce fait, sur les bouts des doigts. Que des parcelles, de-ci, de-là, sont couvertes. Les autorités se contentent d'un curage annuel. Cependant, il y a longtemps que ce moyen, pratiqué par l'APC, s'est avéré insuffisant, voire insignifiant. On n'a qu'à regarder l'état de pollution actuel de ces canaux, déjà immonde, alors que le prochain curage ne se fera pas avant l'arrivée des premières pluies. Car, aux eaux usées, il faut ajouter les jets d'ordures délibérés qui accentuent la pollution, au même temps qu'elles provoquent la stagnation du cours et, par conséquent un accroissement de leur nuisances sur les habitants.