Le regard des photographes américains est bien particulier, cela a encore été prouvé cette année à Visa pour l'image avec ces deux photographes exposants de l'Irak, décrivant chacun à sa manière le bourbier dans lequel l'Administration Bush a enseveli son armée. Le premier sujet, celui de Todd Heisler, prend un chemin plus officiel que celui emprunté précédemment par un autre Américain, Paul Fusco, qui, l'année précédente, avait exposé des images quasi-clandestines d'enterrements de soldats US, et ce, malgré la censure imposée par l'armée. Mais pour pouvoir réaliser son reportage, Todd Heisler a su trouver la bonne clef, celle de l'anticensure en la personne de Steve Beck, major dans le corps des Marines et qui a eu pour terrible tâche d'annoncer aux familles le décès des soldats et d'organiser les obsèques des hommes morts en Irak. Voilà donc comment ce jeune photoreporter a suivi sans relâche cet officier du macabre dans les Etats conservateurs du Nord. Organisant des cérémonies, déployant toutes les symboliques des valeurs américaines : le costume du marine posé sur un mannequin, le drapeau, les compagnons d'arme escortant le cercueil, l'enfant militarisé, la veuve s'endormant aux côtés de la dépouille, etc. S'il est vrai que ces images sont touchantes, tant on y voit la douleur du deuil, il reste néanmoins ce côté aseptisé qui gêne, cette résignation, voire même cette fierté des familles dont un des leus est mort pour la patrie. Défendant les valeurs des Marines et par-là même celle de l'armée américaine, cette même armée, arrogante rejetée par une population irakienne que Stanley Green a mise en image dans un reportage réalisé à Falloujah. Un travail commandé par le Nouvel Observateur et dont l'auteur ne se remet pas. Et pour cause. En arrivant dans la ville, Stanley Green voulait retracer l'invasion américaine de 2003. Mais arrivé sur les lieux, il découvre gisant sur le sol des morceaux calcinés, il apprend vite que c'est le reste de deux agents de sécurité américains. Leurs deux véhicules ont été détruits par des RPG 7, les deux seuls rescapés de l'attaque avaient été rejetés dans les flammes par la population, ensuite leurs corps avaient été suspendus à un pont puis les cordes ont été coupées. Il avouera dans sa fiche de présentation : « Plus tard à l'hôtel, je me suis effondré et j'ai pleuré ; ce jour-là, j'ai perdu quelque chose et je savais que je ne le récupérerai jamais. » Oui, il réalise qu'il a photographié des Américains et qu'il aurait très bien pu être à leur place. Comme le disait Paul Fusco, pour beaucoup d'Américains, le GI est un soldat invincible. On le voit bien dans les films, il ne meurt jamais mais le constat de Stanley Green est d'une réalité implacable et ses photos en sont la preuve tout comme sa conclusion : « La guerre est une perte dont personne ne sort vainqueur. »