Né en 1948 à Oran, Abdelkader Djemaï est l'auteur d'une vingtaine de romans dont plusieurs ont été primés — prix des Tropiques pour Un Eté de cendres, prix Amerigo Vespucci pour Camping…). Sortant de son atelier d'écriture au Festival international de littérature et du livre jeunesse, organisé en partenariat avec l'Institut français, l'écrivain nous parle de cette activité qui le passionne. - On vous connaît comme écrivain, mais l'animation d'atelier occupe une grande partie de votre temps. Comment allier ces deux activités ? Je suis toujours dans le travail d'écriture avec les ateliers. Cela complète le travail d'écrivain. On a une gamme d'expressions. Chaque participant apporte avec lui son monde intérieur, sa façon d'écrire, de décrire un paysage, de parler de ses problèmes personnels, de parler de sa rue, de sa ville… Ils me fournissent donc une matière. Et moi, j'essaie de mettre en forme avec eux une histoire, un texte, un récit, une nouvelle, un article de journal… Donc, l'atelier d'écriture n'est pas fait pour former des écrivains, mais pour susciter l'envie, le désir et le plaisir d'écrire. - Comment élargir l'impulsion d'écrire pour que le participant soit dans un projet d'écriture ? Je ne tiens pas la main des participants, mais je leur ouvre des pistes, des chemins de traverse. Je peux les aider par exemple à mettre côte à côte leurs textes. L'important est de donner à lire ses productions. On ne lit pas facilement ses textes. Il y a toujours des doutes et des blocages. Mon travail est de mettre à l'aise les participants. Oui, le travail d'écriture n'est pas facile, mais si on le veut, on peut y arriver. - Comment procédez-vous pour susciter ce désir d'écriture chez les participants ? Il y a la notion d'initiation et d'apprentissage. Dans les établissements scolaires, on est consommateurs de textes. Mais pourquoi ne pas être producteurs ? Il s'agit de commencer par de petits textes modestes. L'important est de produire un texte qui nous appartient. Après, l'écriture est perfectible. C'est un peu un métier d'artisan. Je donne des petits conseils à partir de mon expérience, mais sans rien imposer. Je n'ai pas de modèle absolu d'écriture. Mon travail consiste surtout à libérer l'expression écrite, mais aussi orale, par la lecture des textes. L'écriture est un chantier infini. On apprend à écrire toute sa vie. Je crois à l'intuition, au hasard, à l'accident. A la place de la rigidité, je préfère la rigueur. Il y a bien sûr la nécessité de lire, de lire, de lire… et d'ouvrir un dictionnaire. Moi-même, quand j'écris mes livres, j'ai toujours un dictionnaire à ma droite. Ca me conforte et me rassure. Les ateliers d'écriture ouvrent les champs du possible. Evidemment, il existe plusieurs méthodes, plusieurs genres littéraires, plusieurs manières de faire, mais l'acte d'écrire est individuel. Chaque individu, quand il sort du ventre de sa mère, porte en lui un livre. Il faut le sortir. L'écrivain n'est pas un poisson d'aquarium. Celui qui écrit est celui qui va chercher la matière avec laquelle il va se confronter pour donner une forme, trouver un style. C'est en écrivant qu'on apprend à écrire. - Durant vos ateliers, vous avez rencontré des participants de tous âges, profils et pays. Quels sont vos souvenirs les plus marquants ? Je travaille avec les élèves du primaire, du collège, avec le public des bibliothèques, des prisons, des maisons d'arrêt, avec les Instituts français dans le monde, les associations, les illettrés… la gamme est très variée. Il y a toujours une surprise : une image qui surgit, un paragraphe ou une histoire qui me surprend moi-même. Et tout peut arriver. Je suis toujours content quand quelqu'un écrit un texte. L'écriture sert aussi à dire ses problèmes et ses douleurs. Je suis heureux de faire ce métier. Il y a un mot que j'aime beaucoup, qui est «apprentissage». Dans ce mot, il y a les verbes «apprendre» et «tisser». Dans la vie comme dans la création, il faut apprendre à tisser. L'origine latine de texte signifie «tissu». On est dans l'artisanat. Moi, je suis un artisan de l'écriture. J'utilise mon expérience pour libérer l'écriture des autres. - D'ailleurs, durant les ateliers, vous décrivez votre manière de travailler. Il n'y aurait donc pas de «secret du métier» en écriture ? Je n'ai absolument rien à cacher. Je mets à plat ce que j'ai. Un atelier d'écriture, c'est comme une voiture qu'on démonte et qu'on remonte après. Ce que je sais, je le donne. Il s'agit d'aborder l'écriture avec humilité et volonté d'apprendre. Cela fait vingt ans que j'anime des ateliers et cinquante ans que je publie. Un homme qui écrit est un homme libre. C'est aussi un homme qui lit. - Quelles impressions gardez-vous des ateliers animés en Algérie ? C'est la deuxième fois que j'anime un atelier avec le Festival international de littérature et du livre jeunesse (Feliv) et je l'avais déjà fait avec des étudiants de l'université de Mostaganem. Je suis content de partager ce que je sais avec les autres. Moi, je viens de parents analphabètes comme beaucoup d'Algériens. Je n'ai pas eu de livres dans mon enfance. Je suis allé vers la langue et la littérature. Je fais le travail qui est le mien et j'apprends encore. - Votre prochain livre ? C'est l'histoire presque vraie de l'abbé Lambert. C'est un abbé défroqué, sourcier de son état, grand démagogue devant l'Eternel, qui a été maire d'Oran entre 1934 et 1941. J'aborde cette période et je suis ce personnage dans cette ville où le racisme était bien présent. Je veux montrer cette Algérie des années trente où nous étions exclus. Pour sa campagne électorale, notre abbé avait promis à la population qu'elle bénéficierait de l'eau douce. Il était d'abord venu à Alger, sur demande du gouverneur Jules Carde, pour faire des prospections. Il a débarqué ensuite à Oran en 1934, l'année de la création des allocations familiales, où la société Moulinex inventait le presse-purée et où l'on créait le Pastis à Marseille… Je veux raconter cette vie-là dans une période d'extrême droite. Avec des voix algériennes qui s'exprimeront. C'est dans la veine du roman historique, mais avec la liberté de créer des événements. Je me documente forcément sur la situation de la ville à l'époque et j'apporte des informations. C'est le portrait d'une ville, Oran, dirigée par ce maire démagogue. L'abbé Lambert, chassé par l'évêque de Toulouse puis l'évêque d'Alger, n'avais pas quitté sa soutane et se baladait à Oran avec un chapeau colonial…