A Béjaïa, tous les chemins mènent à Gouraya. Ce sont les Bougeotes qui vous le diront. Par voiture ou à pied, on arpente des «chemins qui montent» (comme ceux du roman de Mouloud Feraoun), à travers des cités et de somptueuses villas jusqu'à l'entrée du parc de Gouraya, où l'on croise le mausolée de Sidi Touati. Là, il faut traverser encore 5 km de route dans la montagne, pour parvenir au pied du mont Gouraya. Une route en mauvais état, qui semble ne pas avoir reçu la visite des services d'entretien depuis des années. Bien que le chemin soit des plus connus de la ville, des étrangers éprouvent des difficultés à retrouver leurs repères, faute d'une signalisation suffisante. La traversée du parc Gouraya sur une route étroite et sinueuse est un immense plaisir pour les amoureux de la nature. Vers 10 h, par cette chaude journée d'été, le parking, situé au pied de la montagne, est déjà plein de voitures. Des visiteurs viennent de plusieurs wilayas comme dans un pèlerinage. Certains sont là pour la détente, la curiosité et la découverte. Des jeunes en excursion font l'ambiance au rythme de la derbouka. Le site est enchanteur. A proximité d'un espace boisé, servant d'aire de repos pour reprendre le souffle et respirer l'air frais de la montagne, des kiosques proposent de l'eau fraîche et des produits alimentaires. Une aubaine pour ceux qui n'ont pas fait leurs provisions pour un pique-nique dans la nature. On entame les premiers pas du chemin vers le Fort du mont Gouraya, haut de 627 m. Un chemin en pierre qui s'est dégradé par plusieurs endroits. Les plus rapides mettront une demi-heure, ou un peu plus, pour atteindre le sommet. Mais il faudra plus d'une heure pour les moins pressés, surtout ceux qui aiment faire des haltes à l'ombre d'un arbre et admirer la baie de Béjaïa et son port. Des noms de personnes, de villes, de clubs sportifs et des dates sont marqués à la peinture sur les plaques de granite et les blocs de pierre. Les gens font tout pour immortaliser leur passage. Des images de bouteilles, de canettes, de sachets d'ordures jetés dans la forêt ne passent pas inaperçues. Des images désolantes d'une nature souillée. Des macaques sur la route Sur le chemin, on rencontre des familles entières qui montent avec leurs enfants, en poussette ou portés sur les épaules, des groupes de jeunes, des vieilles femmes en robe kabyle marchant les pieds nus, mais aussi des singes macaques qui sortent de nulle part à la recherche de la nourriture. Ces animaux ont appris à voler des baguettes de pain ou des paquets de biscuits aux passants. Ils ne refusent pas les bouteilles d'eau. Certains apprécient même les boissons gazeuses que les visiteurs leur tendent par ignorance. On continue notre parcours vers le haut. L'air devient plus frais. Construit par les Espagnols au XVIe siècle puis aménagé par les Français après la prise de Béjaïa en 1833, pour servir de vigie sur la région, le Fort est servi par un chemin d'une grande utilité. Il permet d'acheminer à dos de mulet toutes sortes de produits alimentaires pour les quelques échoppes en roseaux installés en haut, et qui proposent aussi des souvenirs. A partir d'une dernière halte, des escaliers en pierre mènent à l'entrée du Fort. L'arrivée dans les lieux est salutaire. On s'arrête devant ces clôtures en pierres pour admirer le formidable panorama de la baie de Béjaïa, son port et les montagnes qui l'entourent. En bas, la mer est calme comme la page d'un livre. Après une courte exploration des lieux, ont est attirés par une maisonnette tout en haut, avec des murs pleins de graffitis et une porte rouillée. C'est une sorte de «khelwa», un lieu d'isolement et de méditation fermé au public depuis plusieurs années, selon un gardien du Fort. Devant cette maisonnette, sur le sol, une trappe s'ouvre sur un escalier qui descend vers un puits. L'eau n'est pas potable. Certains osent descendre rien que pour se rafraîchir, et voir ce qu'il y a dans l'obscurité. Le lieu le plus prisé par les visiteurs, notamment les familles, demeure la petite terrasse située juste derrière où l'on s'installe sur le gazon pour casser la croûte ou se détendre. D'autres préfèrent prendre des photos au vent. Au maqam de la dame vénérée Il faut descendre des escaliers du côté nord du Fort pour se retrouver devant le lieu tant vénéré, maqam Yemma Gouraya où repose la Sainte protectrice de la ville de Béjaïa. On ignore encore à ce jour pourquoi et comment elle a été enterrée ici, ni pourquoi elle a choisi ce lieu pour se reposer. Tout ce qui se dit ne sont que des légendes transmises à travers les générations. On s'arrête devant la porte d'une vieille maison au toit en tuiles, aux murs décrépis, d'un vert pâle, avant de se déchausser. On accède à une pièce d'environ 20 m2, au décor simple et austère. Les visiteurs s'assoient par terre ou sur des smarate (tapis en halfa) usés. A gauche, un lit occupe un coin de la chambre à peine éclairé. Les murs sont tapissés de draps verts. A droite, un vieil homme s'est installé sur une chaise. Il veille au grain, surtout que de nombreux visiteurs tentent de braver l'interdiction de filmer ou de prendre des photos. L'on saura qu'il est là pour remplacer la dame qui s'occupe habituellement des lieux. Elle était souvent malade. On arrive devant le tombeau de Yemma Gouraya, accessible par trois marches d'une hauteur de près d'un mètre. Quelques bougies, placées dans les coins autour de la tombe, percent l'obscurité. Un silence religieux règne dans les lieux. Des gens viennent de tous les horizons pour se recueillir sur la tombe, allumer une bougie et faire une offrande. Des femmes et des filles prennent le bout d'une sorte d'étendard vert accroché au mur, qu'elles passent sept fois sur leurs visages, avant de mettre du henné sur la paume de la main. Chacun fait un vœu. Des rituels qui se répètent tous les jours. Dans une ambiance qui invite à la méditation, il n'est pas important de croire ou de ne pas croire. Chacun agit conformément à sa foi. La maison qui abrite le tombeau de Yemma Gouraya reçoit des dizaines de milliers de visiteurs chaque année. C'est devenu même une tradition sacrée à Béjaïa, où l'on ne visite pas la ville, sans faire un tour du côté de la montagne où repose la Sainte.