C'est la guerre des mots à l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). A mesure que le cours du baril de brut reflue, les divergences entre les membres de l'OPEP deviennent flagrantes. Dimanche, le ministre de l'Energie, Salah Khebri, a une nouvelle fois annoncé la tenue de consultations dans l'éventualité d'aboutir à une réunion extraordinaire de l'Opep. Le ministre de l'Energie s'est exprimé concernant les propos de Abdallah Al Badri, secrétaire général de l'OPEP, qui a écarté toute volonté de revoir les plafonds de production, estimant que la décision revenait plutôt à la conférence ministérielle de l'Organisation. Des propos qui semblent n'avoir pas plu à Vienne. Les responsables de l'Organisation ont ainsi réagi aux propos de Salah Khebri par le truchement de deux de leurs délégués. Ces derniers ont ainsi déclaré, sous le couvert de l'anonymat, que « les membres de l'OPEP n'ont pas prévu la tenue d'une réunion d'urgence pour se pencher sur la chute des cours du pétrole avant la réunion ordinaire prévue en décembre», selon les propos rapportés par l'agence de presse britannique Reuters. Bien que le ministre de l'Energie n'ait, à aucun moment confirmé ni infirmé la tenue prochaine d'une réunion extraordinaire, évoquant simplement l'existence de discussions entre les membres de l'Organisation, cette sortie des délégués de l'OPEP laisse pantois quant aux motivations des uns et des autres. Il est clair que les propos de Salah Khebri, qui a estimé dimanche que le Abdallah Al Badri «ne représente pas l'Organisation» et que «la conférence ministérielle est au-dessus du secrétaire général», passent mal à Vienne. Il est cependant difficile de ne pas imaginer que cette guéguerre médiatique ne cache pas un regain de tension entre ceux qui souhaitent une intervention de l'OPEP pour rééquilibrer du marché et ceux qui la refusent. Une interrogation demeure : quels sont les facteurs ayant motivé les propos du ministre de l'Energie ? Beaucoup les mettent sur le compte d'un discours à consommation interne destiné à rassurer la population dans un contexte où les marchés s'orientent inexorablement à la baisse. D'autres y verront une tentative d'influer sur les marchés, en laissant entrevoir une intervention de l'OPEP, même hypothétique. D'ailleurs, les marchés semblent avoir réagi à cela même de manière marginale. Les cours du Brent qui ont clôturé vendredi la semaine en forte baisse, en reculant jusqu'à un peu plus de 48 dollars, semblent s'être revigorés. Ces derniers ont d'ailleurs repassé, hier, le cap des 50 dollars en fin de journée. Victimes collatérales Les déclarations de Salah Khebri, la vigueur des importations chinoises ainsi que le recul de l'offre supplémentaire de pétrole depuis juin ont permis de soutenir les cours. Cependant, il faut bien plus pour maintenir un équilibre précaire du marché, les fondamentaux plaidant pour une baisse des cours. Le ministre algérien de l'Energie reconnaît d'ailleurs qu'à la faveur de la levée des sanctions contre l'Iran, des volumes supplémentaires de pétrole inonderaient le marché dès décembre 2015. Signe de résignation à la perspective d'un pétrole bon marché ? Il semblerait que ce ne soit pas le cas. Les propos de M. Khebri peuvent ainsi être interprétés comme le refus de l'Algérie, tout comme un certain nombres de pays membres de l'OPEP d'être les victimes collatérales d'une guerre pour les parts de marchés. Sinon pourquoi évoquer des tractations entre pays aux intérêts divergents et mettre en avant l'urgence de la situation. Pourtant l'horizon semble bouché pour le camp de l'intervention sur le marché. Le fait est que les plus gros producteurs de l'OPEP, d'ailleurs membres du Conseil de coopération du Golfe, campent sur leurs positions. Leur chef de file, l'Arabie Saoudite, est pleinement engagé dans cette guerre des prix. La production globale de l'OPEP a d'ailleurs augmenté par un regain des outputs saoudiens et irakiens. Pis encore, à chaque fois que les cours du brut se redressent et tentent de se diriger vers les 70 dollars, Riyad intervient par une sortie médiatique dans l'objectif de plomber le marché. Enjeux géostratégiques Il est donc légitime de s'interroger sur les motivations des Saoudiens. D'ailleurs, Riyad ne s'en cache pas, il n'est plus question de céder des parts de marché au bénéfice des producteurs hors-OPEP, notamment avec la montée des schistes. Cependant, il est clair aujourd'hui que la première phase de cette guerre des prix n'a pas permis d'étouffer la révolution des schistes dans l'œuf, vu que la production a repris dès que les cours ont commencé à remontée. Il est aisé de conclure qu'il faudra des concessions encore plus douloureuses sur les prix pour pouvoir y parvenir, si l'on y arrive un jour. Toutefois, l'attitude saoudienne ne peut être interprétée par le seul motif commercial. Les enjeux géostratégiques sont nettement présents et ne font que conforter Riyad dans sa démarche. Le fait de voir les sanctions contre l'ennemi de toujours – l'Iran – levées ne va certainement pas pousser les Saoudiens à revoir leur position. Il est malaisé d'imaginer Riyad limiter sa production pour laisser plus de place à Téhéran. Reste à savoir si les Saoudiens ont les moyens de leur politique et pour combien de temps. Tout porte à croire que oui. Selon les chiffres du FMI, le prix d'équilibre budgétaire du pétrole saoudien en 2015 est de 103 dollars contre 111,1 dollars pour l'Algérie. Aussi, la monarchie du Golfe, tout comme ses alliés du CCG dispose d'importantes réserves pour faire face à la crise. Et comme si cela ne suffisait pas, le marché financier saoudien semble mieux intégré au marché régional et international, lui permettant de alternatives en matière de financement du budget et des investissements. Nous sommes donc en lieu de s'interroger sur la marge de manœuvre du camp opposé et si la médiation et les efforts diplomatiques pourront infléchir cette position.