Comment analysez-vous, aujourd'hui, le marché pétrolier international ? Selon moi, ce que nous vivons aujourd'hui n'est pas véritablement un cycle baissier de l'industrie pétrolière. Si les prix du pétrole augmentent, il va y avoir des investissements dans l'exploration et la production et un ralentissement dans les économies d'énergie. Cela va donner, au bout d'un certain temps, une situation où il y aura beaucoup plus de pétrole sur le marché parce que l'exploration et la production auront donné des résultats. Il y aura un effet de ciseau entre l'offre et la demande. Pour ce qui est de l'OPEP, je ne pense pas que l'organisation agit comme un cartel, en ce sens qu'elle ne peut pas «cartelliser» le marché, c'est-à-dire injecter l'offre quand le prix est très haut et décourager la demande, retirer l'offre quand le prix est trop bas. Il y a d'autres offreurs, non membres de l'Organisation, qui sont capables de compenser la baisse de production de l'OPEP. Nous ne sommes pas dans la même situation qu'en 1986, où l'industrie pétrolière était effectivement entrée dans un cycle baissier et l'excédent d'offre de l'époque était du pétrole conventionnel. Aujourd'hui, nous sommes dans un épisode baissier extrêmement sévère, qui pourrait durer deux à trois ans en comptant à partir de juin 2014 où les prix du pétrole ont commencé à baisser. Ce surplus de production qui pèse sur le marché est le fait du pétrole non conventionnel qu'il faut relativiser. La production pétrolière des Etats-Unis représente un volume d'un peu plus de 6 millions de barils/jour et devrait atteindre à 9,2 millions de barils/jour fin 2015. Elle s'approche du niveau de production de l'Arabie Saoudite, mais avec un niveau de réserves beaucoup moins important, à savoir 48 milliards de barils, alors que l'Arabie Saoudite a 263 milliards de barils. Nous assistons donc à un jeu d'acteurs extrêmement agressif avec, effectivement, un excès d'offre de plus de 2 millions de barils/jour. Concrètement, peut-on espérer que l'OPEP décide de baisser sa production ? Aujourd'hui, l'Organisation représente 30% de la production mondiale de pétrole, ce qui est excessivement faible. Chaque fois que l'Arabie Saoudite déclenche une guerre des prix, elle se casse la figure. Elle a sous-estimé deux paramètres : le premier concerne le progrès technique qui a permis à la production américaine de résister à la baisse des prix ; le deuxième, c'est l'évolution darwinienne de l'industrie des schistes américaine où les grosses entreprises ont «mangé» les plus petites. Par conséquent, l'offre sera plus flexible qu'elle ne l'était auparavant. Tout cela dans un contexte économique qui n'est pas des plus favorables en ce sens que la crise de 2008 n'est pas totalement résorbée, l'Europe est entrée dans un cycle où l'euro s'affaiblit et la Chine passe d'un modèle de croissance tiré par l'exportation à un modèle de croissance tiré par la demande interne. Tout cela pèse sur le marché pétrolier dans un contexte de forte incertitude. Les anticipations des traders pour 2016 sont pessimistes, autant pour la demande que pour l'offre (risque de voir 4 millions de barils/jour sur le marché avec l'arrivée de l'Iran, de l'Irak et même de la Libye), alors que selon nos calculs, la demande ne devrait grimper que de 1,2 million de barils/jour. Quelles seront les conséquences sur l'Algérie ? A mon avis, il faut garder son sang-froid. L'Algérie doit résister à ces deux années de crise, d'autant que nous en avons les moyens financiers. Sonatrach doit être «musclée» pour être prête quand l'industrie pétrolière mondiale reprendra. Entre-temps, il faut déconnecter notre croissance économique du marché pétrolier qui est convulsif, ce qui est d'ailleurs normal. Je pense qu'en 2016, les prix fluctueront autour d'un pivot de 50 dollars le baril. A partir de 2017-2018, il va y avoir un ralentissement des investissements dans l'industrie pétrolière et une reprise de la demande, ce qui provoquera un effet de ciseau vers fin 2016-début 2017 où les prix du pétrole seront tirés vers le haut. Ma conviction est que les prix, à long terme, seront orientés vers la hausse. La demande sera tirée par les pays émergents et la Chine, et l'offre, à ce moment-là, ne sera pas au rendez-vous.