Avec l'avènement du financement des campagnes électorales par de richissimes hommes d'affaires et l'élection d'un certain nombre d'entre eux en tant que députés ou sénateurs, la notion d'oligarque a fait brutalement son apparition dans le discours politique et médiatique. Le troisième, et sans doute encore plus, le quatrième mandat présidentiel d'Abdelaziz Bouteflika qui avait, comme on le sait, largement bénéficié du soutien financier de riches patrons, ont conforté l'idée de l'émergence d'une oligarchie algérienne étroitement liée au pouvoir en place. Comme pour la Russie qui en fait un usage courant, le terme d'oligarque sera abondamment utilisé par les médias et certains partis algériens pour désigner certains hommes d'affaires qui se sont considérablement enrichis à la faveur de la libéralisation économique en profitant, notamment, de leur proximité avec la classe dirigeante. Ces hommes d'affaires de plus en plus liés aux élites politiques ont pour particularité de s'être considérablement enrichis en des temps relativement courts en profitant des largesses que leur octroient certaines autorités politiques en les faisant notamment bénéficier des avantages du gré à gré, de crédits bancaires illimités, de liberté de commerce informel et d'accaparement d'actifs publics à la faveur de privatisations entachées d'irrégularités. A la tête d'impressionnantes fortunes ces oligarques sont, depuis les deux dernières investitures présidentielles, indispensables pour l'exercice du pouvoir et, plus grave encore, pour la stabilité politique et sociale du pays. Tous les observateurs de la scène politique algérienne s'accordent à reconnaître que l'oligarchie algérienne est si riche et si puissante qu'aucun gouvernement ne peut aujourd'hui faire l'impasse sur son soutien. «Les oligarques sont là et il faut faire avec si on veut gouverner à l'aise. Il serait politiquement suicidaire de les tenir à l'écart du pouvoir au risque de les voir chercher ailleurs d'autres alliances», nous apprend un sociologue très familier des arcanes du pouvoir. Tisser des liens avec cette oligarchie est d'une nécessité absolue pour tout Exécutif appelé à gouverner l'Algérie. Les dirigeants politiques ont en effet intérêt à avoir les oligarques de leur côté tant leurs pouvoirs de régulation, mais aussi et surtout de nuisances politique et sociale sont grands. Au sein de l'émigration et plus particulièrement en France, en Suisse et en Grande-Bretagne où ils sont les plus nombreux, les riches hommes d'affaires d'origine algérienne sont, à titre d'exemple, régulièrement sollicités par nos autorités politiques pour financer les campagnes électorales qui se déroulent à l'étranger, pour aider leur progéniture à lancer des affaires ou pour faciliter leurs relations avec les élites politiques et économiques des pays où ils sont établis. Les richissimes hommes d'affaires liés à la mouvance islamique (notamment ceux qui s'approvisionnent auprès des gros commerçants du Qatar, de la Turquie et de l'Arabie Saoudite) seront, quant à eux, particulièrement courtisés par le pouvoir en vue d'en faire de solides alliés capables d'endiguer, aux moyens de l'argent et de la manipulation religieuse, toutes velléités de contestations politiques et sociales. Ces puissants nouveaux riches le savent pertinemment et en profitent pour arracher encore plus d'avantages, parmi lesquels des concessions qui, bien souvent, entravent la modernisation de la société en général et de l'économie en particulier. C'est, en effet, précisément pour ne pas nuire à l'intérêt de certains oligarques qui accumulent des sommes fabuleuses dans le commerce informel que nos gouvernants tardent à moderniser le système bancaire en empêchant, notamment, le recours aux modes de paiement transparents tels que le chèque et les paiements électroniques. Alors que tous les systèmes bancaires du monde se sont modernisés grâce aux apports des nouvelles technologies de la communication, les banques algériennes continuent à se complaire dans leur archaïsme et à s'éloigner des règles de gestion universelles. Il faut bien se rendre à l'évidence que bon nombre de nos oligarques tirent précisément leurs richesses de l'opacité de ce système financier qu'ils ne tiennent absolument pas à changer. Leur proximité avec le pouvoir sert en grande partie à faire perdurer cette situation à tous points anormale, moyennant de généreux soutiens financiers, notamment à l'occasion des grandes échéances électorales. Devant la prolifération de richissimes hommes d'affaires (l'Algérie compterait 4700 millionnaires en dollars, selon l'estimation de l'organisation sud-africaine New World Wealth et autant, sinon plus, de très riches commerçants activant dans l'informel), les dirigeants politiques n'ont d'autre choix que celui de pactiser avec eux en leur accordant des parcelles de plus en plus larges de pouvoirs. Si les autorités algériennes n'en sont pas encore arrivées à octroyer des postes de ministres aux oligarques, d'aucuns pensent que ce n'est qu'une affaire de temps et qu'on verra très certainement les premiers d'entre eux intégrer le gouvernement à plus ou moins brève échéance. Leurs intérêts sont toutefois déjà sauvegardés par des ministres en poste et des responsables d'associations patronales (FCE et autres syndicats patronaux) qui activent de plus en plus ouvertement dans l'intérêt de cette oligarchie en phase avancée de constitution. La réduction des ressources financières de l'Etat qui se profile à la faveur du déclin des prix des hydrocarbures va certainement donner des ailes à nos oligarques sur qui nos gouvernants seront obligés de compter pour assurer un minimum de croissance économique au pays. Le processus de partenariat entre le gouvernement et les oligarques semble bien engagé puisque certains membres de l'Exécutif gouvernemental demandent déjà aux détenteurs de capitaux privés de contribuer au financement des programmes de construction de logements et équipements publics autrefois exclusivement réservés à l'Etat. Les barons de l'informel sont même priés, moyennant certains avantages, de bancariser leurs encaisses avec, sans doute l'arrière-pensée de canaliser ces avoirs vers des investissements que le gouvernement n'a plus les moyens de financer. C'est donc véritablement une rupture systémique qui s'annonce, avec beaucoup de chance de s'amplifier au gré de l'amenuisement des ressources financières de l'Etat et du renforcement du pouvoir politique des oligarques, de plus en plus nombreux et puissants.