Un travelling sur la ville d'Alger à la tombée de la nuit. La voix de Bouteflika qui dit être «l'incarnation du peuple algérien». Le début de Contre-pouvoirs, le dernier documentaire de Malek Bensmaïl, projeté mercerdi soir au Théâtre régional Abdelmalek Bouguermouh de Béjaïa à la faveur des 13es Rencontres cinématographiques, pousse au questionnement et la réflexion. La caméra curieuse de Malek Bensmaïl s'est installée au sein de la rédaction d'El Watan, là où le débat est chaud à la veille de l'élection présidentielle d'avril 2014. Malade, assis sur un fauteuil roulant, Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, se présente pour un quatrième mandat de cinq ans. Le mouvement Barakat !, montré dans le film, investit la rue et s'oppose à la candidature de Bouteflika dès son annonce fin février 2014. Ali Benflis, après dix ans de retrait de la vie politique, se représente et se pose comme le principal rival du Président sortant. Toute cette période mouvementée est évoquée dans le film de Malek Bensamaïl à travers les discussions animées entre journalistes. L'expression des visages est dévoilée à grands traits. Autant que le doute et la déception. D'où le recours aux gros plans. La caméra quitte l'intérieur de la Maison de la presse Tahar Djaout pour «explorer» le chantier du nouveau siège d'El Watan à Alger. «La Maison de la presse est révélatrice d'une histoire tragique. Et le nouveau siège d'El Watan est une métaphore sur l'avenir. En Algérie, on essaye toujours de nous enfermer dans un collectif. J'ai tenté de m'en sortir en montrant les individus, comme pour les autres films, les instituteurs, les médecins... Au-delà de la presse indépendante, c'est un travail sur la question humaine. Aujourd'hui, la société algérienne se débat dans la désobéissance. Comment désobéir ? Comment révéler des dossiers ? C'est le corpus de la parole, des mots, de l'écrit. Dans le monde arabe, avec toutes les révoltes qui relèvent d'une sémantique médiatique, on ne parle pas de la pensée, des intellectuels, des écrivains, des poètes, des journalistes», a déclaré Malek Bensmaïl lors du débat sur le film, en présence des journalistes Mourad Slimani, Mustapha Benfodil et Hacen Ouali. Malek Bensmaïl a choisi le huis clos, «espace cinématograhique intéressant», pour montrer «un micro mouvement» de démocratie à travers l'évolution, les paroles et les gestes des journalistes. Mourad Slimani a relevé qu'au début, les journalistes avaient quelques appréhensions par rapport à la présence d'une caméra à l'intérieur des locaux pendant six semaines de tournage. «Mais, après, tout le monde s'est adapté à la situation», a-t-il noté. «Nous sommes des personnages désincarnés pour les lecteurs. Nous sommes une page imprimée avec une signature. Et là, nous sommes à l'écran», a relevé Mustapha Benfodil qui a expliqué son engagement en tant que citoyen avec le mouvement Barakat ! pour dire «Non» au 4e mandat de Bouteflika. Les manifestations publiques de Barkat ! sont montrées brièvement dans le film de Malek Bensmaïl. Mourad Slimani a relevé que l'implication des journalistes avec le mouvement Barakat ! a fait débat au sein du journal. «Moi, en tant qu'observateur, je rends compte d'une société qui se construit cahin-caha. A l'intérieur d'un journal, il y a des journalistes comme Mustapha Benfodil qui est également écrivain et appartient à un mouvement citoyen, Barakat !, qu'on aime ou qu'on n'aime pas. Ce n'est pas un parti politique. Donc, il est journaliste dans la citoyenneté. Quand je vois cela en tant que cinéaste, je le suis lorsqu'il va manifester et lorsqu'il se déplace dans un bureau de vote, le jour de l'élection poser des questions aux gens. Mon dispositif est celui d'un cinéaste qui accompagne un dispositif. El Watan est un leader d'opinion dans la société. The New York Times et Le Monde le sont dans leurs pays», a souligné Malek Bensmaïl. Le documentaire permet, selon lui, de recréer la parole et des questionnements esthétiques, réveiller les consciences, faire entrer les caméras à l'intérieur des institutions et faire bouger la société. «Nous essayons tous de trouver des solutions à notre système bloqué. Contre-pouvoirs est d'abord un film sur le travail», a-t-il insisté. Des intervenants au débat se sont interrogés sur les pressions exercées sur El Watan à travers la publicité après l'élection présidentielle. «Nous n'avons pas à parler de nous. Nous devons évoquer la souffrance des gens. Il est évident qu'un journal est indispensable pour la démocratie, comme l'est un parti, une association ou un théâtre», a estimé Hacen Ouali précisant qu'El Watan ouvre son espace à toutes les sensibilités qui traversent la société algérienne. Malek Bensmaïl a rappelé que les journalistes algériens n'ont été filmés que durant la décennie noire par les JT occidentaux lorsqu'ils étaient ciblés par le terrorisme. «L'Algérie est passée de mode. Aujourd'hui, il y a la Syrie, la Tunisie, l'Egypte. Moi, j'ai envie de continuer à enregistrer la mémoire des journalistes algériens. Il faut avoir un album de famille. Nous avons besoin de nous regarder régulièrement», a relevé Malek Bensmaïl estimant que les cinéastes doivent se préoccuper de ce qui se passe autour pour laisser des traces pour le futur. «Prenons acte, continuons à enregistrer», a-t-il déclaré. Contre-pouvoirs sera sur les écrans en Europe à partir de janvier 2016. Il n'y a pas encore de date pour l'Algérie.