Le bureau exécutif du Conseil français du culte musulman vient d'être réélu de justesse. Est-ce une démarche exceptionnelle ou cette réélection entre-t-elle dans un cadre normal de vos activités ? La réélection du bureau a fait l'objet d'une rencontre de dernière chance entre les membres du Conseil français du culte musulman (CFCM). Ces derniers jours, nous avons vécu des turbulences profondes dues aux divisions apparues au grand jour entre les frères ennemis marocains affiliés à la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Abdelhak Boussouf, qui a conduit une scission au sein du FNMF, a jugé légitime d'occuper, à lui seul, les trois postes qui revenaient à cette organisation, au sein du conseil d'administration sous prétexte qu'il avait le soutien de la majorité des mosquées. Ce que lui a dénié son rival, M. Béchari, qui est revenu à la charge en revendiquant, lui aussi, ces trois sièges et en accusant M. Boussouf d'avoir utilisé le nom de la FNMF pour son propre compte. Bref, nous avons mis le CA du CFCM en demeure de trouver une solution mixte ou de choisir un camp au détriment de l'autre. Pour cela, nous avons organisé plusieurs réunions afin de concilier les positions de ces frères ennemis. Hier (dimanche dernier, ndlr), le langage de fermeté et le bon sens ont permis enfin de dégager à l'unanimité un nouveau bureau que je préside. J'avais même mis ma démission dans la balance. Ne pensez-vous pas que ce sont les Marocains qui essayent implicitement de déstabiliser la Mosquée de Paris ? On est loin de cette configuration. Très loin même. La Mosquée de Paris est hors de portée des magouilles, des manœuvres, des pressions ou des tentatives de récupération. Aujourd'hui, les rapports se sont apaisés avec la diplomatie officielle du Maroc. D'ailleurs, les travaux que nous faisons montrent notre désir de faire de cette institution un lieu ouvert à tout le monde. Il n'y a aucune gestion politique de la mosquée, celle-ci n'est que cultuelle et culturelle. Le Maroc n'a manifesté aucune velléité de vouloir s'ingérer dans les affaires de la Mosquée de Paris. Il faut aussi savoir que les statuts de la mosquée étaient fondés à la « mahkama » d'Alger en 1917, puis déposés à la préfecture de la même ville en 1921. En conséquence, jamais la mosquée n'a été instaurée dans un autre pays du Maghreb autre que l'Algérie. Ce pays contribue financièrement au budget de fonctionnement de la mosquée et nous envoie 100 imams chaque année. Le Maroc ne fait rien à ce sujet. Toujours est-il, notre politique reste d'étendre la fraternité entre tous les musulmans et de ne pas nous immiscer dans une quelconque querelle politique. Comment se fait-il que l'Algérie soit moins représentée dans les instances religieuses de France, notamment au sein du CFCM ? Cela est dû à un critère lié à la représentativité et que nous considérons au passage « injuste ». Aujourd'hui, le nombre de sièges dans le CA est calculé en fonction de l'espace religieux (surface cultuelle des bâtiments, lieux de cultes ou mosquées) que gèrent les organisations musulmanes. Or il se trouve que les mosquées algériennes dont l'ancienneté est reconnue sont situées en majorité en ville et possèdent des locaux à forte affluence de fidèles. Ce qui fait que l'espace cultuel au mètre-carré est très faible par rapport aux mosquées marocaines, qui, elles, sont édifiés dans des banlieues lointaines et disposent donc de plus de place, sans forcément d'affluence le jour du vendredi. Quels sont les grands chantiers auxquels doit s'atteler la Mosquée de Paris dans un avenir très proche ? Je peux vous en citer quelque-uns. Il y a d'abord la question des aumôniers dans les prisons, les hôpitaux et l'armée qu'il faut résoudre. Vient après le problème de la formation des imams qui siègent dans les mosquées de France et l'amélioration des conditions de pèlerinage pour nos concitoyens. L'écueil de la gestion de la viande hallal doit être résolu vite, en régularisant davantage le circuit de distribution et d'abattage. Le problème de l'Aïd El Kebir, qui, cette année, coïncidera avec le 31 décembre, et les pistes à trouver pour combattre l'islamophobie, qui commence à prendre de l'ampleur dans les pays occidentaux. Nous voulons également consolider le débat entre les religieux sans oublier la résolution de certains problèmes juridiques et organisationnels liés à la mosquée. Qu'en est-il du problème du terrorisme islamiste qui menace de nombreux pays du monde ? La Mosquée de Paris est très impliquée dans la propagation d'un islam religieux et authentique et lutte contre les dérives idéologiques. Nous mettons en garde sur deux points. Le premier est que les gouvernements occidentaux ne doivent pas considérer le fondamentalisme islamiste comme une affaire transitoire, mais un réel problème d'avenir et un risque de confrontation politique, idéologique et culturel entre le monde arabe et l'Occident. Le deuxième point concerne les musulmans eux-mêmes. Ils doivent, à mon avis, se méfier des tendances islamistes extrémistes et violentes qui risquent de les entraîner, à leur corps défendant, dans un amalgame entre Islam et islamisme. Cet amalgame jouerait contre les musulmans, à cause notamment de l'islamophobie qui se développe en Europe et dans le monde. Celle-ci est, hélas, parfois érigée en politique par certains chefs d'Etat. L'Islam exclut toute forme de violence et invite à prêcher la bonne parole et la tolérance. C'est pourquoi d'ailleurs que les propos du pape Benoît XVI nous ont paru contradictoires avec nos principes et notre histoire. Justement, comment aviez-vous analysé les propos du pape contre le Prophète et l'Islam en général ? Il est étonnant qu'un personnage aussi éminent fasse des déclarations avec une telle simplicité et une profonde méconnaissance de l'Islam. Cela tombe vraiment mal d'autant plus que depuis 1965 (Vatican II), la politique officielle de l'Eglise est basée sur le rapprochement avec l'Islam, et ce à travers un dialogue cohérent et une confiance mutuelle. La polémique entre l'Islam et l'Eglise a été enterrée depuis deux siècles. Je ne crois pas que l'Eglise va gagner quelque chose avec ce dérapage papal. Toutefois, le fait que cet homme (le pape), qu'on pensait érudit, revienne sur ses propos tenus en Allemagne, constitue un pas en avant vers le règlement de la crise. Reprendre à son compte les propos d'un auteur qui date de 14 siècles est une démarche qui ne tient pas debout. Savez-vous que l'empereur de Byzance qui a été prisonnier du sultan ottoman Bey Yazid II a, lui-même, éliminé des chrétiens qui ne croyaient pas en les dogmes de l'Eglise, tels que les Arianistes, les Nestoriens et les Monophysites.