A l'opposé de la majorité de la classe politique qui a cru déceler un «conflit ouvert et des règlements de comptes» entre des groupes au sein du pouvoir, culminant par la mise à la retraire du patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), l'ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche y voit, lui, la persistance de l'impasse politique périlleuse qui menace le pays dans son intégrité. Très attendu par l'opinion publique pour livrer son analyse à la faveur de la «restructuration» au sein du noyau dur du système, M. Hamrouche constate l'«incapacité» ou le «refus» des décideurs à en finir avec la crise. Il a affirmé, dans sa déclaration préliminaire, hier, au forum du quotidien arabophone El Mihwar, que ni Bouteflika ni Gaïd Salah et encore moins Toufik – pourtant mis à la retraite – n'ont réuni les conditions pour une «issue constructive à la crise». Il rappelle ses différentes interpellations. «Vous vous souvenez que j'avais lancé un appel, en mars 2014, aux trois éminents responsables les plus hauts placés, leur demandant de profiter de l'opportunité qui s'offre à eux de trouver une issue constructive à la crise qui dure depuis plus d'un quart de siècle. Manifestement, ils n'ont pas pu ou n'ont pas voulu saisir cette occasion», assène l'ancien chef de gouvernement réformateur. De son point de vue, «l'occasion était passée et ces responsables n'avaient plus la possibilité d'opérer la souhaitable mutation». Et d'ajouter que le système politique à bout de souffle «ne sait pas comment finir cette crise, sa crise qui a trop duré, et mettre un terme aux échecs successifs». Si M. Hamrouche estime que les changements «n'ont pas touché que les personnes, ils ont concerné aussi des aspects liés à son fonctionnement et le transfert des missions est à encourager», il considère par ailleurs que ce n'est pas suffisant. Il s'agit pour lui de «changer le système de gouvernance». L'ancien candidat à la présidentielle d'avril 1999 (de laquelle il s'est retiré) inscrit son analyse de la conjoncture actuelle dans une perspective historique et surtout à la lumière de nouvelles crises qui font peser sur le pays des risques majeurs. «Tous les choix et toutes les options opérés depuis l'indépendance n'ont pas abouti ou peu. Les projets qui visaient à développer et conforter la société, à immuniser la souveraineté, à renforcer l'indépendance, à développer l'économie, à rétablir l'Etat national et à édifier une société libre et solidaire n'ont pas abouti», assène celui qui plaide pour une rupture avec un système obsolète. L'échec est global et les décideurs ne semblent pas prendre la mesure des périls. Evitant comme à son habitude de ramener le débat au niveau des personnes, Mouloud Hamrouche reste sur l'essentiel : la nature d'un régime crisogène. «Briser la sacro-sainte règle de la cooptation» «Les faux débats et les faux-fuyants qui nourrissent le maintien du statu quo n'ont de raison que la préservation d'une sacro-sainte règle de cooptation qui permet d'alterner des hommes et des équipes. Cette règle, demeurée stable et inamovible, a empêché des hommes de réussir et des choix politiques, économiques d'aboutir», décrypte M. Hamrouche. Une règle qui «sert à nourrir des rivalités et des luttes de clans. Elle a besoin des gardiens du temple pour fonctionner et de broyer pour survire», conclut-il. Il convient alors de briser ce fondement d'un système qui a conduit le pays à une impasse historique. Car selon le chef de file des réformateurs, cette règle «empêche les citoyens et la société de s'épanouir, de se projeter et de se donner un destin». Pis, elle a «déstructuré l'idée nationale comme elle a détruit la volonté nationale au profit des penchants régionalistes», constate-t-il non sans exaspération. Conscient des dangers qui guettent le pays et de l'aggravation de la crise, Hamrouche fait le procès d'un système politique qui se condamne, mais surtout qui a condamné l'Algérie à l'échec global. Il met en garde une énième fois contre «le maintien d'un statu quo malgré le danger qu'il fait peser sur le pays, sur son devenir et sur son unité». Dans la bouche d'un Hamrouche pourtant connu pour son sens de la mesure, ce constat révèle toute l'étendue de la crise. Persister dans l'impasse conduira fatalement à rendre quasi impossible une sortie salutaire. La crise économique dans laquelle s'enferre le pays l'éloigne du bout du tunnel. Et M. Hamrouche persiste à le rappeler : «Comme si ces épreuves n'étaient pas suffisantes, voilà un autre désastre socioéconomique qui risque d'arriver d'ici trois ans suite à la chute drastique des recettes des hydrocarbures.» Il assure que le pays fait face à «deux menaces inéluctables pour lesquelles le statu quo est complètement inopérant» faites de «frictions et de luttes entre les tenants du statu quo qui considèrent que la survie du système commande le remplacement d'hommes par d'autres, et l'absence de solution immédiate au problème de la double chute de la production et des recettes pétrolières». A ce titre, il émet des critiques aux «mesures» prises par le gouvernement de Bouteflika. Elles «ne sont et ne seront d'aucune efficacité tangible avec les formes actuelles de gouvernance économique», anticipe-t-il. Pis encore, «tout ajustement classique risque d'aggraver la situation des entreprises et des ménages. La dépréciation du dinar a déjà amputé de 30% leur pouvoir d'achat, la valeur des actifs nets des entreprises est annihilé par avance par les ajustements des prix de certains produits notamment énergétiques que le gouvernement envisageait d'opérer». Et si le constat désastreux que vient d'établir M. Hamrouche incite plus au désespoir de voir surgir une issue salutaire, il n'en demeure pas moins qu'il montre la voie du salut : «Seul un vrai projet, porté par des élites et soutenu par les citoyens, a des chances de sortir le pays de l'impasse… Quand il y a une volonté nationale, il y a un chemin national, il y a de la place pour tous et des solutions pour tout… Le choix est de vivre une crise pour toutes les solutions ou de vivre toutes les crises dans l'impasse.» Mouloud Hamrouche sera-t-il cette fois-ci écouté ?