Isolés, sous blocus, lâchés par les «frères» arabes, les Palestiniens sont exsangues et condamnés à se battre contre l'occupation. Le constat du représentant de l'Etat palestinien à Alger est amer. - Peut-on considérer les dernières confrontations dans les Territoires occupés comme une troisième intifadha du peuple palestinien contre l'occupation ? Ce qui se passe aujourd'hui n'est que l'aboutissement de tout ce qui a été construit depuis la première révolution conduite par le mouvement de libération de la Palestine, le Fatah, en 1965. L'occupant sioniste dispose d'un plan et d'une stratégie bien étudiés. Le mouvement de libération en Palestine, depuis sa naissance, a toujours agi avec une vision claire des objectifs à atteindre. Le premier étant d'exister et de rendre sa dignité au peuple palestinien, qui s'est vu confisquer ses terres et forcé à l'exil. La révolution de 1965 en était le point départ. Ont suivi plusieurs batailles, jusqu'en 1974, auxquelles l'Algérie avait d'ailleurs participé. Cela nous a permis d'avoir une armée de libération et de pouvoir entamer nos actions à l'intérieur des territoires occupés comme à l'extérieur ou en Europe. Mais depuis, la nature des pays arabes a changé ; des puissances se sont effondrées et d'autres sont apparues. Il a fallu donc revoir nos méthodes d'action. Nous sommes passés de la lutte armée à la guerre des pierres car, entre les deux, l'équilibre de forces a basculé. Je vous avoue que les mécanismes que nous adoptons depuis ne reflètent en réalité que la situation des pays arabes, rongés par des conflits inutiles. Il a fallu nous adapter à la situation et réfléchir raisonnablement. Nous sommes passés à la guerre politique et diplomatique. L'objectif étant de remettre la Palestine sur la carte internationale. Dieu merci, nous avons aujourd'hui une terre, un peuple et un pouvoir malgré l'occupation. Nous sommes passés d'un mouvement de libération à un Etat de libération. - Quel rôle joue l'Autorité palestinienne dans cette nouvelle étape ? Le peuple palestinien lutte au quotidien pour maintenir son existence contre l'occupant sioniste qui incarne aujourd'hui la dernière pensée raciste et coloniale au monde. Le sionisme est un danger pour le monde entier. Nous ne sommes pas contre le judaïsme en tant que religion. Les sionistes sont un gang qui, en s'alliant avec l'Occident, a créé un Etat. Et c'est cet Etat qui a enfanté aujourd'hui un autre gang qui assassine nos enfants, déchire nos familles, tente de nous éloigner de nos valeurs et de notre culture. En Palestine, les musulmans, les chrétiens et les juifs vivent tous ensemble. Nous sommes un modèle à consolider. Nous sommes des révolutionnaires et non des aventuriers. A la différence de ces derniers, le révolutionnaire réfléchit à changer la réalité de son pays en se dotant de moyens nécessaires qui conviennent à la situation actuelle. Nous avons perdu 32 personnes, dont 7 enfants, et enregistré 1300 blessés dont 350 par balles réelles depuis le début des confrontations. Imaginez si nous avions opté pour une guerre armée ! Combien de personnes aurions-nous perdues ? Qu'avons-nous gagné de la dernière guerre de Ghaza ? Nous ne pouvons sacrifier la vie de nos compatriotes juste pour faire des expérimentations. Il faut avoir les moyens, les méthodes, une stratégie et situer l'ennemi dans ce nouvel équilibre mondial. La Palestine est aujourd'hui reconnue comme membre observateur à l'ONU. Notre drapeau est enfin hissé à New York, c'est du concret. Nous avons arrêté de rappeler les factions de la résistance car elles sont, elles aussi, une partie du problème. Chacune d'elles emploie la carte palestinienne à ses fins. Nous travaillons à armer notre peuple en convictions, sur les plans identitaire, éducatif et culturel. Il doit savoir pourquoi il résiste et pour quel objectif. Nous avons aussi la responsabilité de lui assurer les moyens de résistance. - Comment agir en tant qu'Etat palestinien face aux blocages israéliens et aux complicités internationales ? L'occupation sioniste est soutenue par les Etats-Unis et tous ceux qui ont des intérêts régionaux au Moyen-Orient. Elle est aussi encouragée par l'incapacité des Européens et nourrie par les conflits inutiles dans le Monde arabe. Voyons ce qui se passe actuellement dans les pays en conflit au Moyen-Orient, comme en Syrie. Ce ne sont même pas eux qui décident de l'avenir de leur propre pays ; ce sont d'autres, comme les Etats-Unis et la Russie, ainsi que leurs alliés comme l'Iran et l'Arabie Saoudite. Les Etats-Unis se sont toujours opposés à nos requêtes relatives à l'arrêt de la construction des nouvelles colonies, en usant de son droit de veto. Mais quand on voit sa position officielle... son ministre des Affaires étrangères a réitéré récemment son soutien à la paix et à l'arrêt des colonies. N'est-il pas contradictoire, ce discours ? Les Etats-Unis, qui défendent encore Israël, portent toute la responsabilité de ce que nous endurons en Palestine car ils n'ont jamais tenu leurs promesses. Il ne peut y avoir de paix et de stabilité dans le monde sans une justice en Palestine. Le Monde arabe vit en guerre, dans l'extrémisme et le terrorisme, mais ces conflits seront toujours considérés comme secondaires. Le point culminant est la stabilité en Palestine. Si les Etats-Unis, l'Europe et les autres puissances veulent une stabilité mondiale, qu'ils décident de revenir au moins aux décisions prises par l'ONU ou à celles du quartette. Aider Israël à commettre ses crimes ne sert à rien. Le blocus imposé à la Palestine n'aboutira pas. Nous résisterons encore, avec les outils en notre possession. La Palestine reste stratégique dans la région sur les plans économique, identitaire et religieux, pour les Arabes et le monde musulman. Nous acceptons de discuter s'ils veulent réellement des solutions. Sinon, nous ne croyons plus à leurs promesses. L'Organisation de libération de la Palestine a passé 22 ans à négocier. En vain. Nous avons déposé une plainte à la Cour pénale internationale contre cet Etat sioniste. Le monde entier a vu sa barbarie. Nous demandons une protection internationale et un siège de membre à part entière à l'ONU. - Vous sentez-vous réellement soutenus par les pays arabes ? Nous avons été aidés, mais de manière discontinue. Ce sont des financements qui n'ont pas été focalisés sur la cause. Ces pays ont aidé des parties, des sectes religieuses avec lesquelles ils partagent le même dogme, ou ils le font tout simplement pour des considérations stratégiques. Une sorte de sympathie qu'ils partagent avec certains et pas avec d'autres. Mais peu d'entre eux ont contribué à faire avancer le projet central, qui est la libération de la Palestine. Actuellement, nous manquons terriblement d'aide. Nous subissons toujours le blocus financier imposé par les Américains. Les Palestiniens continuent à payer des impôts aux colons qui nous considèrent comme des locataires. Ce que nous demandons, c'est d'aider les combattants sur le terrain. La Ligue arabe a fixé la contribution de chaque pays, mais seuls l'Algérie, l'Egypte, le sultanat d'Oman et l'Arabie Saoudite respectent la règle. Nous croyons profondément en les principes et les valeurs portés par la Révolution algérienne. L'Algérie est chère à nos cœurs car elle n'a jamais manqué d'être à nos côtés. Nous lui devons beaucoup. Quant au reste du monde, il peut nous traiter de ce qu'il veut ! Nous allons continuer le combat. Nous savons que les jours à venir seront difficiles, mais nous continuerons à résister.