La tension dans la ville sainte d'El Qods est à son comble. Depuis début octobre, l'armée d'occupation s'en prend systématiquement aux populations civiles palestiniennes. Quand Ryad Dar Youssef, 46 ans, est parti cueillir ses olives, dans le village d'El Jania, à l'ouest de Ramallah, en Cisjordanie occupée, jamais il n'aurait imaginé y laisser la vie. Pourtant, cela fait bientôt trois semaines que la ville sainte d'El Qods ainsi que le reste de la Palestine occupée vivent au rythme d'une révolte populaire nourrie par un sentiment d'injustice sans cesse grandissant. Après une altercation avec les militaires israéliens et une inhalation excessive de gaz lacrymogène, Ryad a été amené à l'hôpital de Naplouse. Malgré les efforts des équipes médicales, il est venu grossir le bilan des 33 victimes annoncées hier matin par le ministère palestinien de la Santé. Le chiffre risque d'ailleurs d'augmenter rapidement au regard des récentes mesures décrétées par le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu, qui a préconisé à son armée de prendre des mesures «strictes et répressives» à l'égard du peuple palestinien. Les consignes sont claires : tirer à vue sur tout Palestinien qui semble «présenter un danger». Mayssar Mhamad, activiste pro-Hamas vivant à Ramallah, s'insurge : «Le plus terrible, aujourd'hui, c'est que chaque Palestinien est une menace pour un Israélien dans la rue. Ceci voudrait dire que l'on peut s'en prendre à un Palestinien sous prétexte que l'on croit qu'il va passer à l'acte.» De plus, 39 nouveaux barrages ont été érigés dans la ville d'El Qods alors que des cubes en béton bloquent l'accès aux quartiers palestiniens de la ville sainte afin de filtrer les passants et boucler totalement les rues. Parmi les victimes, on compte déjà une femme et sept enfants. En outre, les hôpitaux ont dû prendre en charge, dans l'urgence, 1500 jeunes pour blessures par balles réelles et en caoutchouc, sans compter les milliers de victimes d'intoxication au gaz lacrymogène. «Nous allons vers une intifadha, c'est inévitable. Ni les recommandations de paix ni l'incitation au dialogue vont changer la situation des Palestiniens agressés et tués dans leur propre pays. Nous n'allons pas refaire l'histoire, mais poursuivre notre lutte n'a pas de prix, surtout maintenant», déclare Ali Abou Hamdane, universitaire et auteur de nombreuses publications en arabe sur El Qods et ses populations, contacté par El Watan Week-end. Inertie «Les Israéliens ont le meilleur rôle. Ce sont eux qui ont des armes à feu, mais ils se positionnent toujours en victimes aux yeux du monde ! Comment un occupant qui affame et tue une population devient-il une victime ? Je crois qu'il faut regarder attentivement les médias sionistes. Aujourd'hui, plus personne ne semble s'embarrasser de nuances : les Palestiniens agressent les Israéliens qui répliquent. Voilà comment les Israéliens présentent les choses.» Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, a exprimé lui aussi son agacement de voir l'Etat hébreu s'en prendre systématiquement aux populations civiles, et ce, de manière disproportionnée. Réitérant l'enterrement des Accords d'Oslo, il a affirmé que la Palestine résistera «de manière pacifique» sans pour autant faire la moindre concession sur sa souveraineté sur El Qods-Est. Il a par ailleurs semblé particulièrement las de l'inertie internationale et a tenu à prévenir que «l'escalade et l'agression contre notre peuple, sa terre et ses lieux saints menacent la paix et la stabilité et peuvent allumer la mèche d'un conflit religieux qui brûlera tout sur son passage, non seulement dans la région, mais dans le monde entier». La Palestine ne voit plus, dans le gouvernement Netanyahu, un partenaire pour la paix. Surtout les jeunes. Aujourd'hui, 50% de la jeunesse palestinienne ont moins de 16 ans. Cette génération née après les Accords d'Oslo, en 1993, n'a pas la même définition de l'oppression. «Nous sommes une génération connectée, qui diffuse ses propres vidéos d'arrestation ou d'agression et qui ne se laisse pas manipuler par les médias étrangers», décrit Oum Haytham, étudiante à Ramallah, jointe via Whatsapp. «Mon smartphone est une arme, quand il ne m'est pas arraché des mains pour être fouillé à un check-point. Mais il existe des applications qui cachent des fichiers comme les vidéos et les photos.» Depuis début octobre, des dizaines de vidéos circulent sur YouTube, dont certaines ont dépassé les 1,2 million de vues. Criminelle Mercredi, Laurent Fabius, chef de la diplomatie française, et son homologue américain, John Kerry, se sont entretenus pour «tenter d'engager un processus de dialogue» qui se fait toujours attendre, alors que la France a affirmé qu'elle «ferait tout pour éviter une escalade». Pourtant, l'escalade a déjà eu lieu, pendant que les réactions internationales restent timides. Des Palestiniens vivant à El Qods continuent de voir leurs maisons détruites au prétexte que l'un d'entre eux «serait un terroriste». Le gouvernement palestinien a fait un premier pas en affirmant, mardi dernier, la constitution «d'un dossier pour une saisine immédiate de la CPI au sujet des exécutions extrajudiciaires de Palestiniens» par l'Etat hébreu. Si «la population palestinienne ne fait pas beaucoup confiance à Mahmoud Abbas» comme l'avance Muhammad Tahrani, politologue égyptien, joint par téléphone, alors, une victoire devant la justice internationale pourrait permettre de renouer ce lien de confiance. «Cette violence va grandissant puisque l'avenir d'El Qods est au centre de toutes les frustration des Palestiniens. Aujourd'hui c'est l'Etat hébreu qui gère l'Esplanade des Mosquées ou Al Haram Al Charif, l'Autorité palestinienne n'a pas su négocier puisque les outils de négociations sont mis au service du dialogue pour la paix», poursuit Muhammad Tahrani. Et d'affirmer que «les factions de résistance palestiniennes appellent à une intifadha et s'organisent pour trouver des partenaires dans la région». Tahrani pointe du doigt le Fatah et le Hamas qui, selon lui, «gardent une réserve inappropriée» face à la population palestinienne, livrée à elle-même.