Même si les journées philosophiques d'Alger ont manifestement raté leur rendez-vous avec le public - une trentaine de personnes en comptant les organisateurs et le personnel du palais de la Culture dépêché par la directrice - elles auraient tout du moins le mérite d'avoir ainsi insidieusement tenté de conquérir un territoire institutionnel où la libre pensée y est de longue date proscrite. Notion philosophique et personnages haut en couleur ont donc disserté sur le thème d'«Autrui». Il faut dire que le tonitruant socio-linguiste Mohamed Lakhdar Mougal, comme l'islamologue polémiste Saïd Djabelkhir sont autant d'ovnis intellectuels dans notre espace médiatique et dont l'apport cérébral serait salutaire en ces temps de morbidité intellectuelle. Mais si le premier a finalement laissé l'audience sur sa faim, le dernier fut incontestablement l'outsider de cette rencontre - mais malencontreusement en l'absence de ses pairs - dont la majorité avait quitté la rencontre avant la fin des travaux, probablement déçue par l'absence du public et de l'annulation «paradoxale» de la table ronde qui était prévue en marge des conférences. L'estrade du palais de la Culture Moufdi Zakaria a vu ainsi se succéder une pléthore d'universitaires et pas des moindres, acerbes critiques envers le «système» évoluant autour de Razika Adnani, la «présidente fondatrice» de l'événement. Sociologues, linguistes et islamologues ont tenté l'exercice de «rendre la raison au peuple» dans la pure tradition des universités populaires dont l'organisatrice est issue. Peine perdue ? Pourtant, d'aucuns estiment les JPA à leur juste valeur comme «une louable reviviscence des rencontres philosophiques devant la démission des élites universitaires locales» et saluent la laborieuse initiative de Razika Adnani, une ancienne professeure de philosophie pour les élèves des lycées, démissionnaire de l'Education nationale pour se consacrer à l'écriture et la recherche. Après le franc succès de son manuel parascolaire El Kafi fi el Falssafa (Le suffisant en philosophie) à l'adresse des élèves des lycées sur l'art de disserter, Mme Adnani ose franchir le pas vers La Philosophie de haut vol avec son ouvrage Le blocage de la raison dans la pensée musulmane, édité au Maroc et qui lui ouvre la porte de l'école du plus célèbre philosophe de France, celui dont on ne prononce pas le nom : Michel Onfray ! le philosophe démissionnaire de l'Education nationale française qui défraie la chronique hexagonale. Manifestement aguerrie sous les auspices de l'université populaire de Caen dirigée par Onfray, Razika Adnani semble capitaliser son expérience d'intervenante dans cette sorte de contre-université où l'on dispense gratuitement des cours entre café littéraire et enseignement non diplômant, «mais en toute liberté de pensée s'il vous plaît» pour asseoir une autre contre-tradition qui consiste à faire «sortir la philosophie algérienne des cercles universitaires étriqués», ambitionne-elle.