L'un des hommes les plus lucides sur les visées terroristes est, métier oblige, le juge Marc Trédivic qui vient de quitter ses fonctions à la tête du parquet antiterroriste pour devenir juge à Lille. Ses multiples interrogatoires de suspects appréhendés, menés avec ses équipes pendant des mois, en font l'une des personnes les mieux à même de saisir la réalité des enjeux. Déjà le 30 septembre, Marc Trédivic avait, dans les colonnes du journal Paris Match (relayé par El Watan), mis en garde contre une prochaine opération d'envergure. Il disait que «la France est l'ennemi n°1 de l'Etat islamique». Avec clairvoyance, il prévoyait avec un brin d'avance : «La France est la cible principale d'une armée de terroristes aux moyens illimités. Ensuite, il est clair que nous sommes particulièrement vulnérables du fait de notre position géographique, de la facilité d'entrer sur notre territoire pour tous les djihadistes d'origine européenne, Français ou non, et du fait de la volonté clairement et sans cesse exprimée par les hommes de l'EI de nous frapper. Et puis, il faut le dire : devant l'ampleur de la menace et la diversité des formes qu'elle peut prendre, notre dispositif de lutte antiterroriste est devenu perméable, faillible et n'a plus l'efficacité qu'il avait auparavant. Enfin, j'ai acquis la conviction que les hommes de Daech ont l'ambition et les moyens de nous atteindre beaucoup plus durement en organisant des actions d'ampleur, incomparables à celles menées jusqu'ici. Je le dis en tant que technicien : les jours les plus sombres sont devant nous. La vraie guerre que l'EI entend porter sur notre sol n'a pas encore commencé.» Après les attentats de vendredi dernier qui lui donnent tristement raison, le quotidien Le Figaro est revenu, samedi, vers le magistrat qui avait alerté sans ambages l'opinion publique. Le juge répond modestement : «Ceux qui ont accepté de parler nous avouaient que la France était le principal ennemi de Daech et que l'organisation terroriste allait nous punir et nous frapper tous azimuts. Ses réserves de combattants sont inépuisables. Leur haine ne va pas s'arrêter là.» Marc Trédivic estime, en connaissance de cause, que pour l'enquête en cours, il faut aller très vite, parlant de «24 heures décisives» après les attentats, «d'autant qu'une équipe peut encore frapper». Alors que le procureur n'avait pas encore donné les premiers constats de l'enquête, le juge a le sentiment que «la maîtrise des armes et des explosifs intrigue forcément. Les ceintures explosives sont une chaîne pyrotechnique délicate. Il faut savoir les fabriquer, en connaître le fonctionnement. Les gens de retour des zones de combat en Syrie et en Irak sont formés pour cela. Il faut pouvoir circuler sans les faire exploser. Ce qui signifie du matériel fiable et beaucoup de moyens». Enfin, Marc Trédivic reste inquiet pour l'avenir et le dit au Figaro : «Il est clair que, depuis un certain temps, l'EI dispose de tellement d'effectifs qu'il n'hésite pas à les consommer dans des attentats-suicide. Cela ne les dérange pas de perdre du monde. Les terroristes à visage découvert sont ceux qui ont choisi de se sacrifier.»