Le Sénat français vient de mettre en place une commission d'enquête sur les réseaux djihadistes français. Présidé par la sénatrice Nathalie Goulet, le programme des parlementaires vise à «travailler sur le djihad à travers les circuits financiers, la fraude, le milieu carcéral, les réseaux internet...» Dans l'hebdomadaire Paris Match, l'élue indique qu'«il faut faire un état des lieux de notre arsenal juridique et judiciaire pour savoir si nous sommes parés, ‘‘armés'' face à cette lourde menace. Dans le cas contraire, savoir ce qui nous manque. Tous les services de l'Etat sont concernés. Nous allons entendre les parties prenantes du renseignement. Mais aussi les acteurs de la prévention, comme des imams, des sociologues, des spécialistes, des journalistes, des familles concernées, pour comprendre les mécanismes de la radicalisation dans les quartiers et dans les prisons. Avec ces auditions, nous tâcherons de déterminer comment et pourquoi des Français partent faire le djihad. Cibler les causes». Au plan politique, il n'est pas anodin que si le bilan global du président François Hollande est peu apprécié par les personnes sondées, sa politique internationale, notamment de chef de guerre face au dijhad, est applaudie. Alors que l'organisation de l'Etat islamique se renforce, on dénombrerait 15 000 étrangers parmi les combattants présents en Syrie et en Irak, représentant pas moins de 90 pays. Pour ce qui est de la France, le chiffre dépasse largement le millier, même si la réalité est dure à appréhender. Après le journaliste Daniel Thomson, qui a publié Les Français djihadistes*, en février 2014, aux éditions Arènes, deux autres journalistes ont publié la semaine dernière, aux éditions du Moment, La France du djihad**. «Par son pouvoir de fascination, son magnétisme Daech (EI) attire chaque jour de nouveaux combattants, avides de violence et de conquêtes», écrivent François Vignolle et Azzeddine Ahmed Chaouch (tous deux de la Chaîne M6). Leur enquête fouillée retrace l'itinéraire de jeunes djihadistes, hommes ou femmes, de toutes origines religieuses. Ils les suivent depuis la France jusque vers la Syrie en passant par la Turquie, et vice versa pour quelques-uns d'entre eux, par des filières qui «font appel à des passeurs qui, avec le temps, ont fini par se professionnaliser». De la même manière que se sont structurés vendeurs d'armes, hôtels et autres, comme s'il s'agissait du «club Med». Les auteurs rappellent du reste que pour les candidats au djihad, tout est de leur poche jusqu'au jour de leur intégration dans l'organisation de l'Etat islamique ou d'autres associations terroristes. Le déplacement coûte entre 1000 et 1500 euros, généralement financés par une carte de crédit parentale dérobée, une escroquerie au prêt pris en dernier moment qui ne sera jamais remboursé, ou s'offrant une voiture de location avec laquelle certains partiront jusqu'en Turquie… «Le djihad, c'est simple comme trois clics et un billet d'avion». Le livre recèle des informations tirées d'entretiens avec les professionnels de l'antiterrorisme (juges, dont Marc Trédivic, policiers, avec les familles, des avocats et même avec le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui a porté devant le Parlement une nouvelle loi antiterroriste). On apprend dans l'ouvrage que plusieurs attentats ont été déjoués en France ces derniers mois, à divers stades de leur préparation. La semaine dernière, une note de la DGSI le confirmait, alors que le livre sortait des presses. Le plus spectaculaire devait être pendant le carnaval de Nice, dans la même veine de celui survenu lors du Marathon de Boston. Il s'agissait d'une opération menée par un certain Ibrahim Boudina, auquel les journalistes consacrent plusieurs pages. La semaine dernière, David Gurgeon, Français de 24 ans, engagé au sein du groupe djihadiste Kharasan, était tué par un drone américain en Syrie. Comme lui, de nombreux Français de souche, si on peut oser cette expression, sont partis au feu. Cela pour dire à quel point les services de renseignements français sont échaudés. La tâche est ardue, d'autant qu'un des vecteurs de radicalisation est le monde virtuel de l'Internet. Un numéro vert lancé par le gouvernement français en avril dernier a montré l'ampleur du mouvement djihadiste. Ainsi, 400 signalements ont été recueillis, hommes, femmes et enfants. Enfin, le plus grave dans cet enchaînement monstrueux est aussi franco-français, questionnant le fait que peut-être «le départ (…) repose aussi sur le rejet de notre modèle économique et social».