En abordant ci-contre la vie et l'œuvre du grand peintre algérien M'hamed Issiakhem, on ne peut manquer de penser à sa première exposition personnelle qui eut lieu à Leipzig en 1959, à la galerie Donilstraz. Il vivait alors dans la défunte République démocratique d'Allemagne, partageant son toit avec Mohamed Zinet, l'éternel créateur de Tahia Ya Didou et de Mohamed-Saïd Ziad, journaliste, qui fut l'un des premiers animateurs de Radio-Berlin en langue française. Tous trois, à propos desquels on rapporte d'inénarrables anecdotes, étaient alors en exil dans ce pays, après avoir fui Paris et bénéficié d'une bourse de l'ex-Etat socialiste qui soutenait l'indépendance algérienne. Lors d'un trop bref passage à Leipzig, j'avais tenté de savoir où cette exposition avait eu lieu, mais une artiste allemande, rencontrée par hasard, m'avait affirmé que l'endroit n'existait sans doute plus. Mais pourquoi aller si loin quand un lieu, en plein cœur d'Alger, est empli encore de la présence d'Issiakhem comme de tous les artistes fondateurs de l'art moderne algérien ? Ce lieu véritablement mythique est la galerie Mohammed Racim, avenue Pasteur, née suite à la réunion, en 1963 à l'Ecole des beaux-arts, des douze fondateurs de l'UNAP (Union nationale des arts plastiques). On y comptait Issiakhem, rentré de Madrid où il était boursier de la Casa Velasquez, ainsi qu'Ali Ali- Khodja, Mohamed Bouzid, Mohamed Ghanem, Ahmed Kara, Mohamed Khadda, Mohamed Louaïl, Choukri Mesli, Mohamed Temmam, Bachir Yellès, Mohamed Zmirli et, parmi eux, une femme, Kheïra Flidjani, dont il faudra que nous parlions un jour. Cette galerie fut un symbole culturel fort de l'indépendance. Elle connaissait une activité intense rythmée par des expositions régulières et courues par les artistes et le public. Elle vit naître en 1967 le mouvement Aouchem et connut des péripéties artistiques et politiques d'une extraordinaire richesse dont, notamment, la caporalisation de l'UNAP par le parti unique et la démission de ses fondateurs. Puis, l'organisation laissa place à l'UNAC (Union nationale des arts culturels !) sous la houlette du peintre Abdelhamid Laroussi, décédé l'an dernier. Durant toutes ces années, elle est restée active, bien qu'elle ne put jamais renouer avec l'effervescence et le panache de ses premières années. Aujourd'hui, désespérément fermée, elle offre la vision lugubre de ses grilles, offensant à la fois l'art, la ville, les passants, la mémoire d'une aventure artistique liée à l'indépendance du pays et le nom de Mohammed Racim qu'elle porte désormais inutilement, vouée peut-être, comme certaines anciennes librairies de l'ENAL, à devenir un fast-food ou une boutique de vêtements. Alors que les artistes se plaignent toujours du manque de lieux d'exposition, comment se fait-il qu'ils ne se mobilisent pas pour la sauver ?