Dans ces comptes il est aussi aisé au directeur de la télévision gouvernementale de taire l'absence totale de tout cahier des charges de l'institution, en particulier respectant ses missions de service public, que de claironner de nouvelles embellies du montant des ressources publicitaires engrangées. L'année 2006 est marquée, rappelons-le, en juin par le cafouillage qui a failli faire tourner à l'émeute l'imprévoyance grave des responsables de l'office qui n'ont pas été à la hauteur d'assurer les retransmissions de la Coupe du monde de foot et l'éclipse, probablement durable par un verrouillage du système de cryptage du bouquet satellitaire TPS en fusion avec Canalsat. Malgré la formidable opération publicitaire gratuite que s'est offerte le bouquet saoudien ART en juin le report des auditoires des chaînes occidentales vers ses écrans est loin d'être acquis mécaniquement. En tout cas durant ce mois-ci de Ramadhan, à l'instar des autres pays musulmans, il est de tradition que les foyers se branchent plus régulièrement et en plus longue écoute à « leur télé », concurremment à celles des autres. Même si c'est en bruit de fond. Le pic du volume de publicité exprime éloquemment la tendance : 60 milliards de centimes, en progression de 50% par rapport à l'années écoulée. Les responsables de l'organisme en ont confié la gestion à une boîte privée, mise en concurrence avec pas moins de 17 autres, qui ont vite perçu le juteux gisement. Si la tendance à la marchandisation des télés gouvernementales de la région est une caractéristique commune, il faut noter l'exception algérienne où le monopole de programmation est maintenu contre vents et marées, annihilant ainsi toute concurrence et recherche de création notamment en programmes de fiction. L'artifice de regain de « proximité », voire de « lien social », affiché dans la promotion de la nouvelle grille ne doit pas leurrer. Le déluge de publicité, en tir groupé de prime time et forcément redondant puisque le marché algérien en particulier pour ce média est fourni essentiellement par quelques grosses marques étrangères, n'est pas pris en questionnement par les programmateurs. Pas plus que l'overdose observée chaque année n'est remise en question, au moins au non d'un principe d'éthique religieuse en période sacrée de jeûne et de méditation : comment via le média public le plus présent dans les foyers faire autant l'apologie de produits alimentaires de plus en plus hors du pouvoir d'achat des couches sociales paupérisées ? Des indicateurs énoncés en conférence de presse retenons celui de 71,49% déclarés « de production nationale ». En décortiquant, même sommairement, ce chiffre mirobolant – par lequel on tente de mettre à la trappe de mémoire de désespérées revendications des rares producteurs privés encore en activité dans le pays suite à la liquidation de l'entreprise publique ENPA -, on note la part de lion prise par les programmes de flux, c'est-à-dire de plateau : 55, 92% ressortent des variétés et du divertissement, en concurrence avec les programmes religieux de divers formats. Fabriquées en fast food, ces programmes de divertissement éphémères vampirisent l'investissement tant attendu dans la fiction de veine nationale, faisant appel à la créativité et au patrimoine, mais aussi à l'écoute de la nouvelle société algérienne. Les partis pris autoritaires, comme si c'était une entreprise privée, dans le choix des producteurs associés réduisent les possibilités de libre expression des auteurs. Ainsi l'année passée la fameuse série Babor Dzaïr a englouti les deux tiers du budget imparti à la fiction. Autre indice de la très relative ouverture de l'ENTV à ses auditoires : tamazight – dont rituellement on nous annonce toute une chaîne de télé – ne sera exprimée qu'à hauteur de 5,55% du temps d'antenne de Ramadhan… Aux téléspectateurs amazighs unilingues de continuer d'imaginer sur l'écran de leur télévision nationale le sens des mots à travers les images. En lame de fond l'évolution de la télévision algérienne exprime ces dernières années clairement les mutations des orientations politiques et économiques du pays. Ces mutations s'inscrivent d'abord dans le sillage de la déferlante de la globalisation économique et de la mondialisation de la communication. La coupure d'avec l'économie de « rente socialiste administrée » des trois premières décennies de l'indépendance donne naissance à de nouveaux modèles de gestion, alliant un vernis de respect de « bonne gouvernance » et un autoritarisme certain. Dans ce cadre la « liberté d'entreprendre », en Algérie comme en bien d'autres pays du Sud, est plus en convergence avec ses effets marchands, en fait de capitalisme régénéré, tels que l'ère de l'empire des grands réseaux sur le monde le dessine particulièrement depuis le tournant des décennies 70 à 80. M. Castells (La Société en Réseaux, Fayard, 1998) en a fourni les premières définitions générales : « l'actuelle révolution technologique se diffuse durant une période de restructuration générale du capitalisme, à laquelle elle contribue de façon essentielle. Par conséquent, la nouvelle société qui émerge de ce changement est à la fois capitaliste et informationnelle, quand bien même elle présente des variations historiques considérables d'un pays à un autre, selon l'histoire de chacun, sa culture et ses institutions ». La logique développée pour la programmation de l'ENTV durant cette dernière décennie a été un recours massif aux émissions de divertissement, en particulier les jeux. Les magazines de sociétés, éducatifs et culturels, ont été reléguées dans des niches tardives, ou trop matinales. Fonctionnant hors cahier des charges et sous commandement d'une instance non identifiée, à travers l'ENTV, l'Etat algérien invente, en première mondiale un modèle de télévision gouvernementale dans ses programmes d'information, et marchande. La période du Ramadhan, celle-ci plus qu'à l'accoutumée, présente tous les ingrédients d'un renforcement de la tendance : autoritarisme et islamisme de bazar revigorés.