Le ciel d'Alger s'est habillé de deuil avant que la Présidence se décide à le décréter pour huit jours. Le ciel d'Algérie a jeté son voile de tristesse sur le pays avant que la dépouille de son digne fils ne touche son sol. La terre d'Algérie qui s'apprête à accueillir en son sein son enfant qui a toute sa vie durant défendu sa patrie et la démocratie, pleure de le voir partir avant que son idéal ne se soit réalisé. Le meilleur de ses fils, le plus grand de ses hommes est allé rejoindre le panthéon des géants de l'histoire. Celui qui a marqué d'une glorieuse empreinte dont seuls en sont capables les immenses personnages de l'histoire, à la fois le Mouvement national et la lutte pour la démocratie, tire sa révérence en laissant orpheline sa patrie qui n'a pas su lui rendre l'hommage qu'il méritait de son vivant. Hocine Aït Ahmed, dont la simple évocation du nom force le respect et l'admiration de ses amis et de ses adversaires, n'est plus de ce monde, il s'en est allé trouver le repos éternel après avoir sacrifié sa vie à son pays. Il n'abdiqua point devant le colonialisme ni devant le totalitarisme, en 70 ans de lutte et de militantisme, il est resté fidèle à ses convictions. Père de la Révolution ; repère pour des générations de militants, la lumière Hocine Aït Ahmed s'est éteinte mais résonnent encore ses discours. Des hommes de sa trempe se reposent mais ne meurent pas. Depuis l'annonce du décès de Hocine Aït Ahmed mercredi passé, le siège du Front des forces socialistes ne désempli pas. Il semble même trop exigu pour contenir les nombreuses personnes connues et anonymes venues exprimer leur condoléances. «Des condoléances que nous nous faisons à nous tous, car c'est une perte pour tous les Algériens et pas seulement pour le FFS», nous dit une des nombreuses personnes anonymes arrivant au siège. Un voile de tristesse habille l'enceinte de ce dernier. Le portrait du héros national accroché au mur à côté de l'emblème national résume à lui seul le parcours de ce grand homme qui s'est confondu avec l'histoire de son pays. Une vie pour son pays. Ce siège qu'Aït Ahmed voulait comme un carrefour pour les militants sincères, comme un bastion pour les luttes démocratiques, est aussi le lieu de rencontre de sa grande famille, celle qui se retrouve orpheline aujourd'hui mais déterminée à ne pas déserter le terrain de la lutte pour la démocratie. «Il est parti, mais nous sommes toujours là et le FFS est là», nous dit-on. Des rencontres avec des hommes de sa stature marquent toute une vie. Ses compagnons et les militants qui l'ont côtoyé évoquent fièrement des anecdotes et des souvenirs avec le défunt. On rappelle son sens de l'humour, ses répliques les plus caustiques et celles pleines de finesse. On parle aussi de son côté affable et ouvert, mais surtout de sa modestie. «Il était humble comme le sont tous les grands, il discutait avec tout le monde», disent les militants. En vraie école de formation politique, Hocine Aït Ahmed n'hésitait pas à donner de son savoir, à transmettre et montrer la voie. Celui qui batailla pour la réhabilitation du politique mit un point d'honneur à éclairer des générations de militants. Aux bataillons servant l'autoritarisme, Aït Ahmed répliqua en formant des générations de militants pour la démocratie. A la violence, Aït Ahmed opposa le dialogue pacifique. Aux divisions, Aït Ahmed opposa l'union pour sauver l'Algérie. Du défilé des compatissants et des sympathisants, la reconnaissance de la grandeur de l'homme est unanime. Tous s'accordent à dire qu'Aït Ahmed a été à la hauteur du combat pour une Algérie libre, prospère et démocratique, mais c'est l'Algérie qui a raté son rendez-vous avec Aït Ahmed. Au vue des personnalités de tout bord et de tous les courants politiques visitant le siège du FFS depuis mercredi soir, le constat est celui de voir partir l'homme du consensus. «Nous avons raté beaucoup de rendez-vous avec Hocine Aït Ahmed ; l'Algérie aurait pu avoir une autre destinée, mais nous ne l'avons pas compris à temps», nous dit un des visiteurs. Jeudi dans l'après-midi, des mères de disparus ont tenu à marquer leur respect, en ce jour de deuil, à celui qui a fait de leur douleur la sienne. Brandissant des photos de leurs enfants disparus, les mamans n'ont pu contenir leur colère devant le défilé des officiels et certains représentants de partis notamment Makri du MSP. Elles avaient raté de peu le chef de cabinet de la Présidence, Ahmed Ouyahia, et le secrétaire général du FLN, Amar Saadani. «Hocine Aït Ahmed est le seul qui nous a toujours soutenues, il est parti propre, intègre et son parcours est irréprochable et vous, que comptez-vous laisser après votre départ ?», scandaient-elles de toutes leurs voix. Hier encore, la même procession de personnes affligées par le décès du dernier des historiques continuait. Maître Mokrane Aït Larbi, Mustapha Bouhadef et d'autres ont retrouvé les chemins de l'école du FFS en ces jours d'hommage et de respect au maître de la politique Hocine Aït Ahmed. Le premier secrétaire du FFS, Mohamed Nebbou, est pris par l'émotion en lisant le dernier communiqué de la famille du défunt annonçant le rapatriement de sa dépouille le jeudi 31 décembre et son enterrement le lendemain, 1er janvier, dans son village natal Aït Yahia, dans la daïra de Aïn El Hammam. «Même mort, il inflige au pouvoir une leçon», commentent les présents. Qu'il est lourd aujourd'hui de conjuguer au passé le parcours d'un homme d'exception. Qu'il est difficile d'accepter cette sentence de l'histoire et de la vie mettant fin au ruissellement d'une rivière en ces temps de disette politique. Hocine Aït Ahmed ira jeudi prochain rejoindre la source qui l'a vu naître, celle de laquelle son grand-père cheikh Mohand Ou Lhocine puisa sa baraka. Devant une source faisant jaillir de l'or, le cheikh Mohand fit cette prière : «A rabi fkiyid amen ouama dounith delfani», ce qui veut dire : «Dieu offre-moi de l'eau, je n'ai que faire de cette richesse périssable.» Tout comme son grand-père, Aït Ahmed a puisé de la source de la vérité, il a dit non au pouvoir et à la compromission. Le meilleur hommage à lui rendre est d'aller quérir cette source de la vérité et de s'en abreuver.