La pièce Fatma écrite par M'hamed Benguettaf au début des années 1990 continue sa petite vie sur les scènes du monde. Actuellement en France, la compagnie Les voix du caméléon, installée dans le Lot (Sud-Ouest), en donne une version aux couleurs africaines, interprétée par la comédienne Dariétou Keita et mise en scène par Christophe Merle. « Il y a deux ans, à Tortosa, en Espagne, dans un festival, il y avait trois ‘‘Fatma'', explique-t-il, la nôtre en français, un montage marocain et un catalan. » Comment Fatma, née dans un contexte très particulier à Alger, alors que la démocratie et la montée de l'islamisme faisaient leurs premiers pas contradictoires, dans une Algérie en plein doute sur son avenir, est-elle donc devenue un personnage universel ? Pour le metteur en scène, « de l'Algérie à l'Afrique de l'Ouest, la pièce est transposable sans difficulté. Il y a bien sûr de réelles différences, mais il y a aussi des points d'ancrage : la même société communautaire, musulmane. Plus encore, je crois que dans Fatma on voit vivre une femme sur sa terrasse et qui refait ‘‘son'' monde, mais Benguettaf aurait sans doute pu écrire un texte semblable avec un personnage masculin qui subit des pressions, qui essaie de trouver des espaces pour se réaliser, qui a ses rêves, ses désirs. C'est notre vie à tous. Le texte est en ce sens très contemporain. La multitude de personnages permet une pièce mouvante dans l'action servie par une poésie dense. Lorsque je suis tombé sur ce texte, j'ai très vite pensé que c'est un texte qui ne vieillit pas. Ce qui m'intéresse, c'est l'approche très fine de questions sociales et politiques d'importance, qui dépasse le cadre de l'Algérie, avec une philosophie et une pensée forte toujours en filigrane, parfois en demi mot, parfois clairement et cela me touche beaucoup ». Christophe Merle en conclut que ce texte sera toujours d'actualité dans 10 ou 15 ans. La comédienne Diariétou Keita a été formée au théâtre de Dakar. Depuis quatre ans, elle exerce son métier en France : « Je n'ai pas vraiment eu de difficultés à me mettre dans la peau du personnage. Le problème de la solitude est universel, mais le problème de la femme est caractéristique de l'Afrique, cette pression sociale que Fatma a subie. Dans le trait de caractère, c'est de prendre les choses avec philosophie, cela a peut être à voir avec la religion. Elle a une certaine pudeur, elle attend d'être seule pour exploser. C'est typique de l'Afrique où on a beaucoup de respect, par rapport aux adultes aux anciens, on ne peut se permettre de réagir comme on veut devant les gens. » De la terrasse de la Casbah, à des horizons planétaires plus vastes, le théâtre de Benguettaf prend ainsi son envol.