Djezzy, Michelin, Nca Rouiba, Alver et Nedjma. Toutes ces entreprises sont de droit algérien. Elles ont toutes changé ou tenté de changé d'actionnaires, mais n'ont pas toutes donné lieu à l'exercice (dans l'intention ou dans les faits) d'un droit de préemption par l'Etat algérien. Ce dernier a menacé de l'exercer dans le cas de Djezzy, alors que la transaction qui la concernait se passait à l'international, mais ne l'a pas utilisé dans le cas de l'entreprise publique Alver ou de l'opérateur téléphonique Nedjma qui ont également changé de propriétaire dans le cadre de transactions financières se passant à l'international. En revanche, il n'a pas hésité à le faire quand Cevital a tenté de reprendre Michelin Algérie ou d'entrer dans le capital de NCA Rouiba. Existe-t-il un deux poids, deux mesures dans l'intention d'exercer le droit de préemption ? Certaines indications le laisseraient penser. L'opérateur de téléphonie mobile Wataniya Télécom Algérie, filiale du kowéitien Watania Telecom qui s'était vu attribuer la troisième licence de téléphonie mobile en Algérie en 2005, est devenu majoritairement qatari en 2012 suite à une OPA de Qatar Telecom qui lui permet de détenir plus de 92% de Watania et donc d'être majoritaire dans la filiale algérienne connue aujourd'hui sous le nom d'Ooredoo. Autre exemple : l'entreprise publique de production et commercialisation d'emballage en verre Alver (plus de 450 employés et un chiffre d'affaires de 7 millions d'euros), a été rachetée par le français Saint-Gobain en 2011 (à travers sa filiale Verallia) dans le cadre des privatisations. Il était question d'investissements, de l'augmentation de la production, ainsi que d'un plan de formation pour les travailleurs. Quatre ans plus tard, Alver se retrouve entre les mains d'un fonds d'investissement américain, Apollo Management, qui a repris l'été dernier les actifs de Verallia pour près de 3 milliards d'euros. Pourquoi l'Etat a-t-il feint d'user du droit de préemption dans un cas (Djezzy) mais pas dans les autres (Alver, Nedjma) ? Des transactions financières entre groupes étrangers, avec à la clé un changement de propriétaire pour les filiales algériennes. A priori, les cas présentent des similitudes. Pourtant, les secteurs ne sont pas d'égale importance. Que vaudraient les quelques millions d'euros d'Alver devant les milliards de dollars d'Orascom. Dans ce cas-là, il est à se demander pourquoi l'arrivée d'actionnaires qatariens à la tête de Nedjma n'a pas dérangé autant que l'arrivée des Russes à la tête de Djezzy, d'autant que l'Algérie y a largement perdu au change. L'ancien ministre des Finances, Karim Djoudi, a bien évoqué la question de préempter Nedjma une fois, mais rien de similaire avec Djezzy. Beaucoup d'experts et observateurs avaient vu dans l'acharnement de l'Algérie dans l'affaire Djezzy une motivation purement «politique». Au final, l'opération ressemblait davantage à la règle des 51/49 qu'à l'exercice d'un droit de préemption. L'Algérie n'ayant pas pu empêcher la reprise d'Orascom par Vimpelcom et aucun autre acheteur n'était en lice pour concurrencer l'Etat. Doute Selon un expert en finances, l'Algérie n'a «aucun moyen d'intervenir sur des transactions qui se font à l'international entre des entreprises étrangères». Il existe bien un article 10 dans la loi de finances 2010 (art 47) qui confère à l'Etat et aux entreprises publiques un droit de regard sur les cessions à l'étranger des parts ou actions de sociétés détenant des actifs en Algérie. Mais «la réalité juridique est que l'Etat n'a jamais eu de droit de préemption sur les cessions faites à l'étranger». Un autre expert explique que l'Etat est seul juge de «l'opportunité de l'exercer ou pas en fonction de ce qu'il considère comme son intérêt stratégique», mais il est limité par le fait qu'il «ne peut pas appliquer son droit de préemption sur des titres de sociétés régi par un droit étranger et qui contrôle un actif en Algérie». Le cas de Djezzy est à ce titre édifiant. Ainsi, «des ventes peuvent se faire indirectement au-dessus de nos têtes». D'autre part, dans le cas où l'exercice de ce droit est possible et que l'on constate que l'Etat ne l'a pas fait, la décision, «même si elle est incompréhensible économiquement, reste souveraine». Pour Ouahab Hamidi, spécialiste en ingénierie financière, si l'Etat n'a pas brandi le droit de préemption à chacune des occasions même s'il aurait «pu intervenir», c'est que «le rachat de Djezzy s'est avéré être un fiasco et une mauvaise affaire sur tout les plans». L'Etat «n'a plus les moyens de rentrer dans ce genre de conflits, si ce n'est pas vraiment stratégique.» L'exception Cevital Pourtant, l'Etat a bien mis en avant ce même droit par deux fois quand le groupe Cevital voulait reprendre Michelin Algérie et aussi entrer dans le capital dans NCA Rouiba. Pour Ferhat Aït Ali, l'Etat «n'a, à ce jour, jamais exercé ce droit comme il l'a présenté dans sa mouture de la LFC 2009. Il l'a invoqué comme épouvantail, dans les affaires OTH, sans l'exercer dans l'affaire Saint-Gobain avec les Américains ; par contre, dans l'affaire Michelin/Cevital, il l'a invoqué et s'est accroché, mais au lieu de racheter il a juste fait rater la vente.» L'accord Cevital-Michelin signé l'été 2013 reste en suspens. L'Etat a usé de son droit de préemption sous prétexte qu'il y avait minoration du prix du terrain. L'article 38 quinquiès du code des procédures fiscales confère à «l'administration de l'enregistrement d'exercer au profit du Trésor un droit de préemption sur les actifs immobiliers dont elle estime le prix de vente insuffisant en offrant de verser aux ayants droit le montant de ce prix majoré d'un dixième». Mais pour l'heure, c'est le statu quo. Alors qu'un nouveau code des investissements est en passe d'être promulgué avec un droit de préemption réaménagé, certains experts se demandent quelle est l'utilité d'un droit coûteux qui jusque-là n'a été utilisé que pour bloquer des investissements entre opérateurs nationaux. Pour Ferhat Aït Ali, protéger les intérêts économiques du pays passe par l'éviction «des investisseurs étrangers de tous les secteurs non réexportateurs et générateurs de plus-values importantes par rapport aux investissements de départ, ainsi que des petits investissements ne nécessitant pas un apport technique digne de ce nom». Cela permettrait, dit-il, d'éviter «en amont ce qu'on doit réparer de manière aussi maladroite en aval.»