Au rythme où s'opèrent clandestinement les départs via la mer pour rejoindre l'Espagne, les quartiers de la commune de Aïn El Türck risquent d'être dépeuplés de leurs jeunes. A St Germain, on dit qu'il ne reste que les vieux. Au douar El Maroc, on attend son heure. Dans d'autres quartiers, on espère. Même les filles sont tentées par l'aventure. En, effet, il n'y a pas un jour qui passe sans que l'on apprenne qu'un groupe de tel ou tel quartier a embarqué clandestinement vers l'autre rive. « St Germain s'est vidée de ses jeunes, ironisent d'autres jeunes ou déplorent des parents », « l'été, ça a été une saignée, pratiquement tous nos enfants ont traversé la rive pour risquer leur vie dans un monde qu'ils croient meilleur », racontera, le visage baigné dans les larmes, une mère de famille dont l'aîné, âgé de 19 ans à peine, avait embarqué clandestinement vers l'Espagne sans avertir quiconque de son projet. Seul le coup de fil donné d'une ville espagnole avait de quoi réconforter quelque peu cette maman. Un père de famille, l'air abattu, ne comprenait pas comment son fils, les 18 ans non encore atteints, ait pu abandonner le confort familial, ses études et sa famille, pour émigrer clandestinement. Souvent, ce sont des histoires déchirantes qui motivent le désir de la « hedda ». Telle celle d'une jeune fille, supportant mal sa grossesse non voulue et craignant la vindicte des parents et de la société, s'est retrouvée avec son petit ami, embarqués tous les deux dans la même galère. La suite sera quasi tragique car l'embarcation sera repêchée in extremis en haute mer au moment où les « passagers risquaient le naufrage ». D'autres histoires tout aussi rocambolesques se racontent : « Nous avons atteint les rives espagnoles alors qu'il nous restait tout juste un quart de litre de gasoil », racontera plus tard un « heureux » harrag, lors d'un entretien téléphonique avec l'un de ses parents. Un autre groupe, dont une partie apprend-on de source sure a rejoint Marseille, a pu quitter le territoire algérien sans que cela ne leur coûte un centime. La chance leur sourira lorsqu'un groupe de clandestins marocains, ayant choisi les côtes oranaises pour effectuer la traversée, se fait choper par les services de sécurité. Le matériel (embarcation, GPRS, gasoil, vivres, etc.) profitera alors au groupe algérien qui ne s'est pas fait prier pour rejoindre l'autre rive. Même le mois de ramadhan ne semble pas dissuader les jeunes à tenter l'aventure. Le soir, tout de suite après la rupture du jeûne, des cercles de jeunes se forment dans les cafés pour discuter Hedda, s'échanger des infos sur la météo, planifier et se refiler des « tuyaux » si nécessaires pour réussir une traversée. D'ailleurs, carême ou pas, jamais l'ardeur pour la « hedda » vers l'Eldorado n'a été aussi grande et tenace que ces derniers mois. La « clémence » climatique constitue une aubaine inespérée pour les harraga. Selon des citoyens, la région de Aïn El Türck est devenue un centre de transit pour les émigrés clandestins vers d'autres destinations, dont l'Espagne plus particulièrement. Malaise social, absence de perspectives, précarité, échec scolaire, tels sont en somme les arguments des adeptes de la hedda.