Jean-Jacques Beucler est le directeur de l'Institut français (IF) d'Alger depuis plus d'une année. Anciennement directeur des Instituts français de Casablanca (Maroc) et de Madrid ( Espagne), il a occupé d'importants postes comme celui de délégué général de l'Alliance française au Mexique et conseiller de coopération et d'action culturelle à l'ambassade de France à Sarajevo.Entretien. Une année après votre installation à la tête de l'Institut français d'Alger, quels sont les moments forts, ceux qui vous ont marqué ? Ce qui m'a le plus frappé, depuis un an, au niveau de l'Institut Français d'Alger, c'est le public nombreux qui pose des questions et s'intéresse aux débats d'idées. Je m'aperçois que nous avons abordé des thèmes très différents en matière de débats d'idées. Comme «La liberté dans l'écriture» animé par Chawki Amari et Kamel Daoud. C'était magnifique. Un autre moment, celui de Jean-Pierre Chevènement dont on connaît les liens profonds avec l'Algérie. Un vrai bonheur que d'écouter l'échange ente lui et le public. Une troisième conférence, c'est celle de Régis Debray, l'écrivain et philosophe, et Kamel Daoud autour du thème de la «laïcité». Là aussi, c'est un grand moment de tolérance. Ainsi que la rencontre avec l'auteure Maïssa Bey qui a été interrogée par Laure Adler. Là aussi, beaucoup de choses passaient et beaucoup d'intérêt. Et surtout, cette parole de femmes. Cela était important. Et puis, voir comment le public algérois répondant à nos invitations, venant à l'IF, aimant discuter, débattre, à partager… Quelle serait la nouveauté du programme de l'année 2016 ? Pour 2016, nous avons mis l'accent sur trois moments particuliers au mois de mars. L'opération «Goût de France» portant sur la défense et l'illustration de la gastronomie française lancée par notre ministre sous le jeu de mots «goût de France», «good France» pour que cela soit compris aux Etats-Unis et dans les pays anglosaxons. Ici, nous avons voulu mettre en valeur le savoir-faire français et algérien, algérien et français autour de la gastronomie à travers des ateliers culinaires. En parallèle, un nouvel espace a été inauguré au sein de l'Institut français. «L'Espace saveurs du savoir». Un restaurant qui a été rénové et qui fait office de restaurant-brasserie-bibliothèque. Où on y va pour les plaisirs du palais, les saveurs et le savoir. Le deuxième moment sera celui de la francophonie où l'on rendra hommage au grand écrivain Anouar Benmalek. Nous le reconnaissons comme un auteur majeur de l'Algérie d'aujourd'hui. Et c'est à lui qu'on veut rendre hommage, cette année. Pour la francophonie, on va proposer du cinéma, un concours d'écriture…Le troisième moment clé et fort du mois de mars, ce sera le Printemps des poètes. Et c'est la Corse qui sera à l'honneur. Pourquoi le choix de la Corse ? Je trouve qu'il a beaucoup de proximité entre la Corse et l'intérieur algérien du Nord. C'est-à-dire les montagnes qui se trouvent entre Alger et la Tunisie. La Corse est une terre de poésie. Une terre encore vierge. Quelque part loin de la mondialisation et ses désastres. La Corse, c'est une terre de chant, de traditions et de poésie. Et je trouve qu'il existe une communauté d'esprit entre les montagnes algériennes au niveau de la poésie, des paysages et la beauté de la proximité de la mer. C'est une façon de rendre hommage à la Corse et à l'Algérie de l'intérieur. L'Institut français a un public de «haute fidélité»… Le secret vient en particulier d'un système mis en place par le service de communication de l'IF. Un système qui permet de mieux connaître les publics et de les fidéliser et de dialoguer avec eux au quotidien. Ce système, très lourd à manœuvrer, est celui d'une communication constante. Quand un événement est organisé, on crée une ligne sur internet pour y accéder. Le choix d'un spectacle par exemple, et ce, d'une manière interactive. Et les gens savent qu'ils auront automatiquement une réponse. Et ça, c'est la première fois que je le vois appliqué à ce niveau-là. J'ai dirigé de nombreux Instituts français à l'étranger, je constate un système mis en œuvre aussi efficace. Et Dieu sait que j'ai exercé en Espagne, au Maroc ou encore au Mexique avant de venir en Algérie. Mais ici, nous avons un excellent système de communication connaissant les goûts du public. C'est pour cela que nous avons beaucoup de succès en matière de débats d'idées, de jazz par exemple, c'est toujours plein à craquer, intra-muros et extra-muros. Que ce soit au Théâtre national algérien (TNA), aux salles El Mougar ou Ibn Khaldoun. Et une fréquentation quotidienne record… Le quotidien, pour nous, est important. Chaque jour, nous enregistrons une moyenne de 1200 personnes qui transitent par l'Institut français. Nous avons les moyens de compter. Entre la médiathèque, les cours de langues, les gens fréquentant la cafétéria-restaurant des saveurs et savoir, ceux qui passent pour les inscriptions aux examens, etc. Beaucoup de jeunes qui viennent pour se rencontrer, discuter, bavarder, jouer de la guitare dans un coin… C'est un lieu de vie absolu. Vous êtes les premiers à lancer la bibliothèque numérique… La bibliothèque numérique s'appelle Culturetech a été lancée en 2013. Une plateforme numérique qui s'est vraiment développée en 2014 et 2015 où l'on a presque doublé le nombre d'abonnés. Notre public s'est très vite approprié l'instrument d'une manière précise, sélective, efficace et plus longue. Un dernier mot… Cela fait plus d'un an que je suis en Algérie. Ce qui m'a marqué, c'est le sens de l'humour des Algériens. Et je suis sensible à cela. En tout cas, j'ai rencontré à Alger des gens ayant beaucoup d'humour. Il y a deux personnages que j'adore, ce sont les caricaturistes Le Hic (El Watan) et Dilem (Liberté) qui, à mon avis, sont excellents pour résumer la vie de tous les jours, ici.