En dévalant la vieille cité dans cet après-midi qui précède la Journée nationale de La Casbah, la désolation du bâti supposé être pris en charge dans le cadre du plan de sauvegarde permanent du secteur éponyme m'en donne plein la vue. Un paysage qui attriste. Qui donne un pincement au cœur lorsque le regard balaie ces étais destinés à préserver provisoirement des bâtisses brinquebalantes, lorsque nos mirettes défilent des douirate dont les parois laissent échapper la lumière que trahissent des lézardes, lorsqu'on chemine à travers des maisons menaçant ruine, au moment où d'autres viennent tout juste de rendre l'âme du côté de la rue Katarougil et de la rue Nfissa, bloquant le passage. Les dizaines de BET engagées dans la phase dite d'urgence et les 150 entreprises mobilisées au chevet de la cité ont fini par lever le pied. Un haut-le-cœur nous fait tressaillir lorsque nous arpentons des quartiers rasés comme le lieudit Kouchent el khandak. Quelques ombres furtives y vaquent à leurs occupations, à travers un dédale plein de vacuité ; un groupe de touristes s'y promène, volant au passage quelques clichés d'une architecture qui crie sa peine, au milieu de placettes tristes et sans âme que côtoient des monticules de gravats et d'ordures, enserrant une cité qu'on a de cesse de dire que sa mort est programmée... Une cité qui voit des artisans, disposés autrefois en enfilade, déguerpir ou troquant leur doigté contre un gage plus rémunérateur. A peine deux ou trois artisans continuent à faire de la résistance, à l'image du maître dinandier Boudjemaâ ou le maître maroquinier, Mostefa Boulaâchab qui font contre mauvaise fortune bon cœur, en perpétuant le legs ancestral au rythme de leur passion. Qu'évoquent à présent ces lieux uniques, inscrits sur les tablettes du patrimoine mondial ? Que nous proposent ces maisons que nous avons aimées, ces quartiers que nous avons choyés et qui nous ont bercés ? Que nous livre maintenant cette topographie d'histoire, aux tumultes intimes, aux résonances familiales, aux murmures amicaux, aux amours passionnelles, sinon des lieux de mémoire que nous avons réussi à mutiler ? Une vingtaine de familles seulement refusent d'abdiquer et prennent soin de leurs douirate, alors que d'autres propriétaires ont décampé, laissant le patrimoine aux mains de pensionnaires qui s'en foutent royalement de son entretien. L'Etat a consenti des centaines de milliards de dinars sans résultats substantiels. Résultat des courses : un décor qui ne nous renvoie pas moins à cette citation de Edwy Plenel qui renseigne sur une âme aigrie : «Il ne suffit pas de partager un patrimoine commun, encore faut-il vivre dans le même monde.»