Par l'un de ces improbables concours de la providence impliquant des relations amicales, je me suis trouvé en possession d'une petite cargaison de makroutes de Mila. Avant même de les goûter, j'ai savouré le fait que nous puissions encore entretenir au XXIe siècle ce type d'échanges qui font qu'à l'occasion de rien du tout, sinon le désir de faire plaisir, quelqu'un à l'autre bout du pays, vous fasse parvenir quelques douceurs. Une tradition qui existait dans les villages d'antan et qui s'est maintenue, utilisant les transports modernes pour élargir son rayon d'action. Bref, des «réseaux sociaux» bien réels et même comestibles dans ce cas. Que vous dire ? J'ai connu presque tous les genres de makroutes du pays dans leur infini diversité. Je les ai presque tous appréciés et continue à le faire en dépit des restrictions de mon cher médecin, le docteur C. F., homme de goût et de compréhension (j'espère cependant qu'il ratera cette chronique). Mais d'autorité, je peux vous affirmer que les makroutes miléviens se distinguent parmi leurs semblables nationaux. J'ai d'autant plus d'aisance à le proclamer qu'aucun de mes ancêtres – en remontant à six générations au moins – ne s'est prévalu d'une appartenance à cette cité dont le quartier historique a pu être classé en 2008 grâce à une vaillante association locale. Je dois avouer cependant un ami très cher, originaire de l'antique Milev, mais que je ne vois plus (Brahim, si tu lis, fais signe). Donc, pas chauvin – ni en gastronomie ni ailleurs – je décrète unilatéralement les makroutes de Mila comme les meilleurs d'Algérie. Fins et élégants, légèrement fourrés de pâte de dattes, couverts de stries qui suivent la forme du losange, commune à tous les makroutes, dans un style à la fois très ancien et très contemporain et un goût qui réconcilie toutes les tendances nationales de ce patrimoine culinaire, ils méritent le détour ! Mais ces simples plaisirs de la bouche viennent surtout me rappeler que, chaque jour, il est possible de découvrir quelque chose de nouveau dans ce vaste pays dont nous ne sommes pas les locataires. Dans la cuisine, la culture, l'histoire, la géographie, les hommes, les femmes… Des choses stimulantes et honorantes (ne nous privons pas de ce néologisme au motif que l'Académie française ne retient que son contraire) qui viennent contrebalancer toutes celles qui nous empoisonnent la vie, heurtent nos valeurs et étouffent nos rêves. A bien y réfléchir, cette curiosité de la vie et du pays est l'arme fatale contre l'indifférence, le vaccin anti-bêtise, l'antidote au renoncement. On peut la nourrir de diverses manières, la première étant de maintenir son esprit à un niveau de critique minimum en gardant son pourquoi toujours prêt à dégainer. Question combustible, cette curiosité fonctionne avec bien des substances. Mais avec les makroutes de Mila, c'est sans doute plus agréable.