Dans de nombreux débats universitaires ou au sein de la communauté professionnelle, un questionnement de plus en plus fréquent surgit : a-t-on besoin d'apprendre les sciences et l'art du management en dehors des entreprises économiques ? On accepte de plus en plus qu'une entreprise, dans un contexte de globalisation et d'intensification de la concurrence, nécessite de se doter d'un management des plus modernes. Autrement dit le business management prend de plus en plus de place dans la prise de conscience des citoyens et des décideurs. Sa matérialisation en pratique tarde à s'améliorer. Nous avons des décennies de retard à rattraper dans ce domaine. Une poignée d'entreprises algériennes a effectivement mis en place la plupart des outils et des bonnes pratiques internationales. Elles fonctionnent bien et arrivent à dégager des résultats impressionnants. Ceci constitue une preuve supplémentaire que l'essentiel des méthodes est universel. Certaines pratiques ne le sont pas. Mais beaucoup peuvent être transposées avec des performances réjouissantes. Malheureusement, le nombre d'entreprises algériennes dotées d'un management moderne est réduit. Mais l'ensemble des acteurs économiques convient qu'il faut faire des efforts en ce sens. Cependant, la problématique réside dans les institutions à but non lucratif : les hôpitaux, les universités, les administrations, les ministères etc. La culture qui prévaut dans ces institutions est souvent très en retrait par rapport aux pratiques du reste du monde. Des croyances des plus néfastes sévissent encore pour une proportion élevée de leurs membres. La plupart rejette toute pertinence des connaissances et des pratiques managériales. Pour eux, le management s'apparente uniquement au «business management». Les pratiques managériales ne seraient pertinentes qu'aux entreprises économiques qui commercialisent des produits et des services pour en tirer un profit. Plus l'entreprise serait grande, plus elle serait candidate aux pratiques managériales et à tirer profit de ses recommandations. Les PME/PMI en tireraient très peu de bénéfices et les institutions à but non lucratif encore moins. Nous verrons que cette manière de voir est dangereuse aussi bien pour le pays que les institutions non économiques elles-mêmes. Quelques exemples suffisent Les chercheurs en management considèrent que les institutions non économiques ont besoin de plus de management que les entreprises dont le but est de réaliser des bénéfices. Ces entreprises sont beaucoup plus faciles à gérer que des institutions à but non lucratif. Elles ont des outils qui permettent de les piloter plus facilement : comptabilité, tableaux de bord, ratios de gestion, etc. Ces outils permettent les comparaissions et les prises de décision d'amélioration des performances. La loi oblige ces entreprises à tenir une comptabilité pour être taxées. Mais les informations comptables traitées de nouveau deviennent de précieux indicateurs de performances. Cependant, les institutions à but non lucratif qui disposent seulement de la comptabilité publique sont loin de disposer des mêmes outils. Cependant, les principes de base du management sont encore plus utiles dans ces institutions non économiques. La ville de New York, utilisant des principes simples de management, a pu passer durant les années 1980 de la seconde ville la plus dangereuse au monde (après Hong Kong) à l'une des villes les plus sûres (mieux que Paris) grâce aux pratiques managériales. Durant les années 80', la ville a décidé d'appliquer, grâce à l'aide d'experts, les pratiques managériales. Un diagnostic profond s'en est suivi. Il en ressortait des problèmes bien connus des spécialistes : les méthodes pratiquées n'étaient pas les bonnes. Toute la stratégie fut revue. Auparavant, le travail des policiers consistait à patrouiller pour dissuader et être parfois discrets pour faire avorter les délits. La nouvelle stratégie consistait à faire un travail de proximité et impliquer les citoyens. Les policiers étaient recyclés (formés). Chaque groupe ou agent était responsabilisé sur une zone. Les délits étaient chiffrés et on se fixait des objectifs pour les réduire. On transférait les ressources des zones à peu de problèmes aux endroits qui avaient le plus de délits. On échangeait les meilleures pratiques d'équipes. Bref, les modes de fonctionnement furent révolutionnés. Quelques années plus tard, les résultats étaient impressionnants. New York figurait parmi les villes, ou selon des indicateurs spécifiques (nombre de délits pour 100 000 habitants par an), elle fait partie des villes les plus sécurisées au monde. Comment tenir compte des ces leçons ? Comme le montre l'exemple de la police de New York, on a surtout besoin de plus de management dans les institutions administratives, les hôpitaux, les universités et le reste. Les meilleures universités mondiales sont gérées avec des indicateurs spécifiques, comme les entreprises. Le recteur de l'université a des objectifs très précis à atteindre : améliorer le classement de son université, accroître la satisfaction des étudiants et améliorer le niveau mesuré des services d'enseignement fournis. Par la suite, chaque doyen a des objectifs similaires pour son département (physique, médecine, business, etc.). Viennent ensuite les sous-départements (mécanique, électronique, nucléaire, etc.). Et l'opération continue jusqu'aux enseignants qui doivent publier et obtenir des notes adéquates (ils sont évalués par les étudiants). Tout le monde est évalué, du recteur jusqu'à l'enseignant et bien sûr l'étudiant. Comment voulez-vous qu'une université s'améliore alors qu'on ne mesure le travail de personne ? Nous avons une très fausse idée sur comment fonctionnent les institutions à but non lucratif un peu partout dont le monde, et particulièrement dans les pays développés et émergents. Que se passerait-il si nous ne modernisions pas le mode de fonctionnement de nos institutions à but non lucratif ? Nous irons directement répliquer nos performances du passé. En injectant 850 milliards de dollars pour moderniser les infrastructures, nous en récoltions le quart de ces dépenses. On a poussé le bouchon plus loin : des milliers de projets étaient gérés par des non-managers de projets car aucune université ne forme à ce métier ; alors qu'on a besoin de dizaines de milliers. Nous sommes à la veille de revoir notre «modèle économique». C'est une excellente chose. Les analystes se sont emparés de la question et un débat national s'est enclenché. Les propositions fusent. Parmi celles qui reviennent en permanence sur la table, le sujet sur la modernisation de l'administration. Il s'agit d'y introduire un management du changement pour révolutionner les méthodes et les pratiques. Le NPA (New public administration) constitue l'essentiel de la solution : former les personnes, moderniser les procédures et adapter quelque peu les méthodes universelles à la réalité du terrain. Il faut créer des start-up spécialisées et mettre à niveau les universités pour jouer le rôle qui leur est dû. Les spécialistes algériens sauraient le faire. Il faut leur faire confiance. Il faut également mobiliser les ressources nécessaires dans les prochains budgets. Ce n'est que de cette manière qu'on pourra par la suite savoir «rationaliser la dépense».