Encore une fois, Warda nous revient et elle n'a pas peur de surprendre. Après une absence qui a duré plusieurs années, Warda resurgit sous les projecteurs, par la porte d'un feuilleton égyptien, genre qu'elle revisite en y ajoutant une bande-son qui sort en ce moment dans de nombreux pays du Moyen-Orient : l'album de ses nouvelles chansons, An al awan (Le temps est venu). C'est une femme à la fois simple et gaie qui m'accueille chez elle, dans son appartement au Caire, qui est décoré, je rassure tout de suite les amis lecteurs qui regardent le feuilleton (diffusé par l'ENTV chaque jour à 17 h), avec un bien meilleur goût que celui où la dernière diva du monde arabe joue un rôle qui, dit-elle, lui va « comme un gant ». Celui d'une chanteuse célèbre qui décide de renouer, la soixantaine tapante, avec la scène et la chanson, en dépit des récriminations de sa famille et de son proche entourage… Contrairement donc au salon tapageur de Houria, l'héroïne de An al awan, celui de Warda, vaste et sobre, est dans des tons pastel et clair, couleurs crème, bleu pâle et marine, on voit sur les murs un ou deux portraits de la star, notamment une superbe photo noir et blanc de Abdelhalim Hafez rendu encore plus émouvant par le sourire éclatant qu'il offre, dans un mélange de complicité, d'affection et d'admiration, à la triomphale superstar de la chanson orientale des années 1960 et 1970, celle qu'on continue à appeler ici, avec le respect qu'on doit aux géants, Warda El Jazairia. Et Warda qui m'accueille en ce soir de Ramadhan n'a pas du tout l'air de vivre dans l'ombre du passé, celui de l'étoile montante qui affiche un glamour ravageur sur les photos de son salon. Elle n'est pas maquillée, porte une paire de lunettes, qui a l'air démesurée et qui, lorsqu'elle la retire dans un geste fréquent, laisse voir ses yeux grands et gourmands. En chemise couleur bleu jean, elle sirote tout au long de l'entretien un jus de citron doux et ne cesse d'interrompre l'interview pour me poser mille et une questions, curieuse, intéressée, déroutante. J'ai rarement eu, je l'avoue, en tant que reporter, à interviewer un personnage qui pose plus de questions que moi ! Condamnée à mort en 1958 Lorsque je lui demande si elle est née en juillet 1940, elle éclate de rire et me dit : « Oui, oui vous pouvez écrire née en 1940, vous m'enlevez un an et je veux bien être menteuse sur ça. » Elle repart dans un grand fracas de rire. Warda rit beaucoup, l'air heureuse d'avoir fini le feuilleton et l'album, un travail qui a duré neuf longs mois, une prouesse que beaucoup ne pensaient pas qu'une femme à la santé aussi fragile est capable d'accomplir. Née donc à Paris en, disons, 1940, Warda a été la dernière petite d'une famille de cinq enfants. Tous ses fans le savent par cœur, lorsqu'elle commence à chanter sur la scène du restaurant-bar de son père, le Tam Tam (les initiales pour Tunisie-Algérie-Maroc) elle n'a que sept ans. Son père, engagé dans le Mouvement de libération nationale, va jusqu'à cacher des armes dans le Tam Tam et se fait prendre, « les Français l'ont torturé pendant quinze jours sous la douche, ils ont férocement battu un vieil homme, je ne l'oublierai jamais, pour cela j'en veux encore aux Français ». Le Tam Tam ferme donc et Warda, dont la mère est Libanaise, part avec sa famille pour Beyrouth. Lorsqu'elle chante en 1958 sa célèbre chanson Koulouna Jamila, la justice française la condamne à mort, Warda s'en souvient aujourd'hui encore avec un rire : « Je n'avais pas lu le petit entrefilet en bas de page d'un journal qui annonçait « Warda Ftouki condamnée à mort par contumace » et je suis retournée en France, mais à l'aéroport de Paris, mon frère Kamel me faisait de grands signes inquiets de l'autre côté de la barrière, il me faisait signe de repartir immédiatement et moi je me disais : mais qu'est-ce qu'il a, pourquoi il n'a pas l'air content de me voir ! » Lorsqu'elle arrive au Caire en 1960, elle ne sait pas encore déchiffrer les lettres de l'alphabet arabe et lit les paroles de ses chansons qu'elle réécrit en lettres latines. Quelques années plus tard, au summum de sa gloire, elle arrête de chanter non pas pour cause de maladie, mais à cause d'un mari possessif. Elle revient à la chanson en 1970 dans une nouvelle ascension fulgurante avec les plus belles chansons que lui avaient composées son deuxième mari, Baligh Hamdi. Retour triomphal en 1990 Puis Warda disparaît à nouveau pour ne réapparaître qu'au début des années 1990, triomphale et étonnante, avec des tubes qui ont fait danser et chanter, y compris les ados de cette époque. Warda ensuite se tait à nouveau, harcelée par des problèmes de santé graves, un cœur fragile qu'il faut opérer et puis avec le début des années 2000 une opération de greffe du foie. Une fois sa convalescence finie, la voilà de nouveau de retour… Pas étonnant qu'elle aime tellement les chats, elle en a d'ailleurs trois qui se meuvent rarement ou alors avec une telle grâce qui fait que ces bêtes ressemblent plus à des objets d'art vivants qu'à des animaux domestiques. Car malicieuse et féline, Warda l'est assurément, mais avec les chats elle partage sans doute aussi cette capacité à rebondir, à revenir à la vie à chaque fois que tous les pronostics sont unanimes pour annoncer la fin. Elle aime la vie c'est sûr, et elle aime aussi dépenser pour son plaisir et jouer au golfe, elle aime faire la cuisine, et on me chuchote dans son entourage qu'elle est un vrai cordon bleu. Mais par-dessus tout, Warda aime être en mouvement, produire, accomplir, se renouveler. Choses que son pays, l'Algérie, où elle est revenue se reconstruire après une opération périlleuse, n'a pas su lui offrir. Aujourd'hui, elle nous parle de tout cela avec une fraîcheur et, surtout, un naturel qu'on ne rencontre que rarement de nos jours dans l'univers du business de la musique où la plus infime des spontanéités est formatée, calculée d'avance. Je ne vous apprendrai rien en le disant, mais j'ai envie de le redire, elle a vraiment de la classe Warda.