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«Les produits du terroir sont un levier extraordinaire pour développer les régions marginalisées»
Zoubir Sahli . Agro-économiste
Publié dans El Watan le 03 - 04 - 2016

Zoubir Sahli est l'un de nos meilleurs spécialistes en agroéconomie. Dans cet entretien, il dissèque avec acuité le champ de production économique lié aux produits de terroir. Il plaide pour la valorisation de ces produits via un processus de qualification et de labellisation fiables et recommande d'en faire le levain du développement local dans une démarche participative. Zoubir Sahli insiste sur la nécessité de renforcer l'organisation professionnelle des filières, sans quoi nos «appellations d'origine» ne connaîtront jamais le succès de nos voisins méditerranéens.
Vous avez beaucoup travaillé sur l'économie rurale et les produits de terroir. Comment définiriez-vous un produit de terroir ?
Un produit de terroir, comme son nom l'indique, est issu d'un terroir, et qui dit terroir, dit terre, dit localité, dit caractéristiques géographiques, techniques, climatiques, écologiques et sociales d'un territoire. Donc, terroir veut dire une localité où vous avez un certain nombre de choses qui sont réunies : la terre, l'aspect biologique, l'eau, le climat, mais aussi une certaine façon d'estimer et de valoriser les ressources naturelles. Avant, c'était une valorisation traditionnelle. Aujourd'hui, on revient vers le terroir pour essayer de valoriser les ressources naturelles mais avec des méthodes nouvelles, tout en gardant évidemment l'aspect traditionnel, c'est-à-dire le savoir-faire ancien.
Il n'y a pas de produit de terroir s'il n'y a pas d'organisation sociale qui met en avant des savoirs et des savoir-faire pour mener cette valorisation. Avant, les produits de terroir servaient à nourrir la communauté mais aussi à valoriser des signes et des symboles. C'est pour cela que dans certaines régions, montagneuses notamment et dans les oasis du Grand Sud, on trouve des signes agraires et des signes alimentaires qui font référence à des produits de terroir, à l'image des signes qu'on voit par exemple sur les murs des maisons, sur les bijoux, ainsi que les signes rattachés aux ouvrages hydrauliques…
Par exemple, quand vous allez dans la région de Timimoun-Adrar, il y a toute une organisation autour des foggaras ; les instruments pour les gérer ont un sens. D'autre part, l'eau va servir de base pour organiser les produits mais aussi les services de terroir. Et on retrouve cela à travers toutes les manifestations culturelles traditionnelles : les waâdate, essb'ou…
Il y a une autre dimension sur laquelle j'ai travaillé : c'est l'idée que le produit de terroir n'est qu'un biais pour essayer d'implémenter la dynamique de développement local au niveau des territoires ruraux.
Depuis un certain nombre d'années, le développement local n'existait pratiquement plus, particulièrement dans les zones de montagne. Ces zones-là, soit elles ont été complètement oubliées, laissées à la marge et leur population appauvrie, soit elles se sont vidées de leur population. Après, on s'est évertué à travers les programmes communaux de développement local à les équiper en infrastructures, en électrification rurale, l'on a mis en place aussi de petits programmes pour les jeunes. Mais ces programmes, de mon point de vue, n'ont pas réglé les questions de développement de ces territoires ; ce sont la plupart du temps des programmes pour faire attendre, pour faire patienter tout simplement.
Dans votre étude, «Produits de terroir et développement local en Algérie» (in : Options Méditerranéennes, Série A, n°89, 2009), vous dites qu'il s'agit très souvent d'un développement par le haut qui n'implique pas suffisamment les acteurs locaux…
Effectivement. On a certes essayé de revoir cette politique en décentralisant un peu. Mais vous savez très bien que la décentralisation dans notre pays est relativement faible. Même si on met en place des institutions décentralisées, la population ne participe pas. Or, la question centrale c'est la participation. Tant qu'il n'y a pas une gestion participative et une gouvernance locale, tout ce que l'on fait est voué à l'échec. Même si on utilise le mot, la réalité est que les gens ne participent pas. Ils sont souvent dans une position d'assistés.
Pour faire du développement local à travers la valorisation des ressources locales, et à travers ce biais que représente le produit de terroir, il y a des conditions. Une de ces conditions, c'est la participation. Une autre condition, c'est l'organisation, notamment l'organisation professionnelle. J'ai fait un travail sur un certain nombre de produits de terroir, et ce qui en ressort, c'est l'absence ou la faiblesse d'organisation (surtout l'organisation professionnelle) tout le long des filières, depuis la semence jusqu'au consommateur. Même s'il y a des associations, des coopératives, des groupements d'intérêt commun, des Chambres d'agriculture, de la pêche ou des métiers, l'organisation professionnelle en Algérie est à revoir entièrement.
Par exemple, si on prend la filière huile d'olive, elle est mal organisée ?
Elle est mal organisée, c'est clair. J'ai fait des enquêtes là-dessus. Hormis les régions de Bouira et de Béjaïa où l'on essaie de s'organiser au niveau des Chambres d'agriculture, et où il y a des associations qui font du bon travail, le reste, c'est l'anarchie totale. Et les gens font des confusions. On confond produit de terroir avec produit traditionnel ou produit ancien. Un produit de terroir doit être non seulement un produit local avec des caractéristiques locales, mais il doit être qualifié, c'est-à-dire qu'il faut impérativement donner la preuve que ça vient de là, du terroir, avec bien sûr toutes les caractéristiques afférentes, des cahiers des charges à respecter…
Et cette opération demande un travail organisationnel et institutionnel extraordinaire que les gens, aussi bien les administratifs que les agriculteurs, ne font pas. D'où l'importance du renforcement des capacités. Il faut absolument mettre des moyens pour la formation, pour la structuration des personnes et des organisations. Prenez le mouvement associatif : s'il est important de par le nombre, surtout dans le domaine culturel et social, il est extrêmement faible dans le domaine économique et socioprofessionnel. Pourtant, c'est une condition sine qua none : on ne peut pas conduire un processus de valorisation des produits (ou de services) de terroir avec une orientation économique et sociale, des objectifs d'augmentation des revenus, de développement des zones marginalisées, de création d'emplois, si on ne met pas en place les mécanismes pour que les gens s'organisent. D'abord, il faut qu'ils comprennent qu'ils produisent et/ou valorisent des matières et des signes en or.
Que ce produit (ou service), si on le valorise correctement, il va se vendre très cher. Parce qu'un produit de terroir, sur le plan commercial, ce n'est pas un produit de base ou un produit de consommation courante. C'est un produit destiné à des marchés spécifiques, ce qu'on appelle des marchés de niche. Ce sont des marchés appelés à satisfaire des besoins spécifiques. En l'occurrence, le produit de terroir est surtout courtisé par des gens qui sont conscients qu'ils vont consommer un produit qui a un sens, qui est typique, qui a une qualité et une valeur nutritive supérieures.
Ce sont des produits réputés plus sains…
Oui, ce sont des produits réputés plus sains. Les produits de terroir se répartissent sur plusieurs catégories. La première catégorie, c'est ce qu'on appelle les «produits géographiques», des produits qui font référence à un territoire spécifique, à une zone. Cette zone-là a des caractéristiques propres. On va lui donner ainsi une Indication géographique (IG). Vous avez ensuite les produits à «Appellation d'origine». C'est un niveau relativement supérieur en ce sens qu'il inclut l'aspect savoir et savoir-faire. Après, il y a des produits de «Labels». Puis vous avez la dernière catégorie qui est celle des produits «Bio» qui sont issus de l'agriculture biologique. C'est encore une catégorie supérieure.
Le label doit-il forcément s'inscrire dans des standards internationaux ?
Oui, absolument. Et ça, c'est le must. Là, vous devez obéir à des conditions draconiennes. Les indications géographiques, les appellations et les labels des produits de terroir (c'est-à-dire les Signes officiels de qualité - SOQ) vont donner les preuves de la qualité et l'importance non seulement des produits eux-mêmes, mais ils vont permettre à la localité de se développer et de sortir de sa marginalité, avec tout ce que cela suppose comme avantages économiques, mais il y a aussi la dimension culturelle et patrimoniale. Si personne ne connaissait cette localité, on va la faire connaître autour de nous par cercles concentriques.
Et le local (le territoire local, la zone, le village, le douar..) va alors rayonner sur l'extérieur, et notamment sur l'international, parce que le produit (ou le service) de terroir va véhiculer un sens, et ce sens-là il va être codifié par ce qu'on appelle la qualification : l'indication géographique, le label, etc.
Donc, ce sont des produits censés s'exporter facilement. Au niveau international, il y a des enjeux géostratégiques importants autour de ces questions. Il y a deux groupes qui s'affrontent : un groupe européen mené par la France qui fait tout pour valoriser cette rente de situation. Parce que le produit de terroir, c'est une rente de situation. Elle s'exprime sur le marché par une forme de monopole et d'oligopole. Donc, on doit la considérer comme un produit à part qui va se vendre mieux que les autres. En face, vous avez tous les pays anglo-saxons, les Etats-Unis en tête, qui, eux, ne veulent pas entendre parler de produits de terroir, qui privilégient la marque privée et la concurrence pure et dure.
Et les pays du Sud, comment se positionnent-ils ?
Les pays du Sud sont partagés entre les deux. Il y en a qui, comme certains pays d'Amérique latine, suivent les Etats-Unis. Il y a les pays méditerranéens qui sont relativement en avance dans la valorisation des produits de terroir, notamment la Turquie, le Maroc, le Liban, et dans une moindre mesure la Tunisie. Au Nord de la Méditerranée, vous avez les Français, les Italiens, les Espagnols, les Grecs aussi, connus pour leurs fromages, leurs huiles d'olive, leurs oranges, leurs vins… Pour qu'un produit de terroir soit labellisé, il faut l'enregistrer au niveau international.
C'est une affaire de «droits d'auteur». Pour cela, vous allez être accompagné par des certificateurs qui vont être eux-mêmes accrédités par des laboratoires de référence indépendants. Après, vous allez le déposer. Chez nous, en principe, on est accompagné par Algerac (comme organe d'accréditation) et contrôlé par l'IANOR (pour les questions de normalisation). Le label est ensuite déposé à l'INAPI pour être protégé. Une fois qu'on le dépose, c'est fini. Il est reconnu au niveau national et international. Personne ne peut – toujours en principe – le reproduire ailleurs.
On entend souvent dire que la datte «Deglet Nour» a été «détournée» par nos amis Tunisiens. Qu'en est-il réellement ?
«Deglet Nour» n'est pas encore labellisée. Il n'y a pas encore de label ou de signe «Deglet Nour». Il paraît toutefois que les dattes de variété «Deglet Nour» d'une région donnée sont exportées et mises sous une marque (privée) «Deglet Nour» dans un autre pays. Donc, rien n'a été volé officiellement. Si on veut avoir un label ou un IG «Deglet Nour» ou autre, d'une zone ou d'un terroir donné, il faut travailler dur pour caractériser ce signe, le faire connaître et le faire protéger. Il y a un processus qui est en cours, mais il n'est pas arrivé à son terme.
Aucun produit actuellement n'est labellisé. En réalité, à part les sept vins qui ont une ancienne appellation – les «Vins d'appellation d'origine garantie», VAOG – qui a été d'ailleurs perdue, rien n'est encore mis sur le marché. Actuellement, il y a un processus qui est mené par les pouvoirs publics, il y a trois produits qui sont suivis par le programme (de labellisation, ndlr) du ministère de l'Agriculture dont la Deglet Nour de Tolga. Il faut préciser que «Deglet Nour» en soi n'est pas une appellation, c'est une variété agricole. Vous avez plusieurs variétés de Deglet Nour. Si on veut labelliser «Deglet Nour» d'une zone donnée, il faut se concentrer sur ce terroir. Si on dit «Deglet Nour de Tolga», il faut démontrer que c'est véritablement la Deglet Nour de Tolga.
C'est un travail de botaniste, de biologiste, d'agronome, de technologue alimentaire, de sociologue, d'économiste, etc.Le produit, on l'étudie dans tous les sens, y compris l'irrigation, la nature du sol, le climat, le goût, l'aspect nutritionnel, l'aspect culturel, les savoirs et savoir-faire, l'histoire. C'est très important, ça aussi. Les historiens doivent être en mesure de nous dire : Deglet Nour, c'est depuis quand ? Qui l'a introduite et de quelle façon ? Il faut donner les preuves et justifier aussi les preuves données. Or, c'est compliqué. Cela suppose toute une organisation. C'est pour cela que la question institutionnelle est très importante.
Et c'est pour cela aussi que cela doit émaner de la base. Il faut que les producteurs eux-mêmes, par exemple ceux de la datte Deglet Nour, soient conscients du fait que leur produit a une valeur intrinsèque ; une valeur commerciale, culturelle et patrimoniale très importante ; qu'il a une rente de monopole et une rente de situation. Il faut qu'ils soient d'accord pour s'impliquer (dans le processus de qualification), et quand on dit s'impliquer, c'est contribuer. Ce n'est pas uniquement l'Etat qui va financer cette opération. Et l'erreur justement qu'on est en train de faire est que c'est une démarche qui semble venir d'en haut. Au cours de mes enquêtes, beaucoup de producteurs d'olives, d'huile d'olive, de dattes Deglet Nour, de miel, me disaient : nous n'avons pas de problème d'écoulement de notre produit. Quel est l'intérêt de le labelliser du moment que cela se vend ?
Pour eux, ce sont autant de charges supplémentaires qu'ils ne veulent pas assumer ?
Ils voient en effet cela comme des charges en plus. Les gens raisonnent à titre individuel. Or, cela ne marche pas dans un processus de qualification ou de labellisation de produits de terroir à signe officiel de qualité. Il faut qu'ils comprennent que le produit de terroir, ce n'est pas une marque, c'est un label, et le label n'est pas individuel, il est collectif. C'est le label du village, de l'ensemble de la région. Il faut donc qu'ils sachent que leur produit a une rente de situation.
Il y a un autre aspect très important, c'est le volume de l'offre. Il faut que l'offre du produit soit suffisante, régulière et stable. Il y a des produits pour lesquels l'offre est importante cette année, l'année prochaine elle est ridicule. Cela s'explique par le fait que l'agriculture est un monde incertain et de risques. Ce n'est pas l'industrie. Là aussi il faut faire très attention. On parle de la qualité, mais il y a aussi la question de la quantité. Moi, citadin, habitant en ville, j'ai pris conscience qu'il est très utile de manger un produit bio ou un produit avec un signe officiel de qualité (IGP ou AOP ou autre), je me lance là-dedans, d'accord, mais encore faut-il que je trouve ce produit, que je le trouve tout le temps, et qu'on m'explique constamment les vertus de ce produit-là. Il faut qu'il y ait une régularité dans l'approvisionnement. Il faut noter que c'est aussi une affaire économique : les produits de terroir ou les produits bio, au début, ils coûtent cher, mais après, le marché va se réguler. Même l'ouvrier peut se mettre d'acheter bio.
Quelle est la différence entre produits de terroir et produits bio ?
Si on labellise, il y a un label «bio», c'est-à-dire un signe officiel de qualité supérieure qui répond à des caractéristiques agronomiques et nutritionnelles particulières. Celui qui se met aux produits d'agriculture biologique, il est soumis à des contraintes et un cahier des charges très stricts. En matière d'irrigation, en matière de semence, en matière d'engrais…L'utilisation d'engrais n'est pas tolérée, de même que les produits phytosanitaires, les pesticides. Il y a des techniques culturales particulières. Le plastique est interdit. Il y a une façon spéciale de récolter. Il faut que ce soit de la main-d'œuvre. On recourt très peu aux machines. On utilise des cageots spéciaux pour le conditionnement, etc. Le produit bio peut être labellisé ou pas. On peut le vendre comme produit bio parce qu'on a obéi à un cahier des charges agronomique, mais on peut aller encore plus loin en demandant un label bio. Et là, il y a un autre cahier des charges, plus contraignant.
Y a-t-il une estimation du nombre de producteurs spécialisés dans les produits de terroir dans notre pays ?
Il y a des statistiques au niveau du ministère de l'Agriculture et quelques chiffres proposés par des chercheurs. Mais il n'y a pas d'études approfondies dans ce domaine-là contrairement à d'autres pays comme le Maroc où vous avez des études très poussées, où plusieurs produits sont recensés. Par exemple, l'huile d'argan, le safran, les pétales de rose, l'huile d'olive, la viande de mouton… Il y a pour ces produits un travail considérable. Chez nous, ce travail n'est pas encore fait. Il y a quelques thèses de doctorat et de master. J'en ai encadrées quelques-unes. Mais cela reste très aléatoire. Là il y a un travail à faire, à la fois de recherche et d'identification des véritables terroirs et des véritables producteurs spécialisés dans les produits de terroir.
En tout cas, le potentiel existe. Il y a d'abord les ressources naturelles, les plantes aromatiques et médicinales. Là, il y a un champ extraordinaire de valorisation des ressources végétales et animales. Il y a aussi les produits agricoles bruts qu'on connaît : les olives, les dattes, les pommes, les abricots, le raisin de table, les carottes, les artichauts, les truffes, les cerises... Après, vous avez les produits transformés : l'huile d'olive, les vins, les confitures traditionnelles, les huiles essentielles, les vinaigres, certains fromages, les pâtes traditionnelles dérivées des céréales, les pains, le «matlou», le «hammoum» (blé fermenté), «trida», etc.
On constate qu'il y a un véritable engouement pour ces produits-là…
Le marché existe. Ces dernières années, avec l'augmentation des revenus, il y a une catégorie de gens qui commencent à exprimer des demandes et des besoins spécifiques. Cette tendance est révélatrice de citadins qui veulent manger autrement, manger sain. Il y a une dynamique qui se crée. Du côté de l'offre, c'est encore assez opaque et encore peu structuré. Cela dit, il y a tout un travail à faire. Du côté des autorités, il faut renforcer cette dynamique pour aller dans le sens d'un véritable développement local, notamment pour permettre aux jeunes qui habitent les zones rurales de créer des activités génératrices de revenus sur place. Quand on dit produit de terroir, ce n'est pas uniquement la production agricole. C'est aussi tout le reste : la transformation, la distribution, les services, et donc au niveau d'un village, d'une commune, c'est très intéressant de mailler le territoire avec cela.
Et cela peut permettre aussi à l'agriculture familiale de se maintenir…
Tout à fait ! Même si la filière «produits de terroir» s'est internationalisée, les produits de terroir sont le résultat de l'agriculture familiale à la base, faite de petites surfaces de quelques hectares. En Kabylie, vous avez un olivier par-ci, un olivier par-là, c'est rocailleux, abrupt, et puis, c'est rustique. Les produits de terroir sont avant tout des produits rustiques. Les olives ne sont pas brillantes et grosses, elles sont souvent toutes rabougries, mais elles ont un goût, une typicité et une origine. Pour revenir au développement local, le produit de terroir, comme je le disais, peut parfaitement être un levier extraordinaire pour valoriser les ressources locales par les locaux, par la ressource humaine locale. Et c'est une occasion extraordinaire pour nous, dans certaines régions qui sont relativement pauvres, marginalisées, si on met le paquet, de développer ces localités et en même temps de les sortir vers l'international.
Cela me rappelle le slogan des écologistes : «Penser mondial et développer local». C'est très important. Je l'ai vu dans beaucoup de pays. Par exemple, en Turquie, il y avait une région pauvre qui ne produisait que des carottes. Après, il y a eu tout un travail de recherche et d'organisation. Des chercheurs ont fouillé dans l'histoire et dans la culture locales, ils ont trouvé que dans le temps, les villageois étaient vraiment pauvres, et pour ne pas mourir de faim, ils faisaient bouillir la carotte quand il y avait surproduction, ils la mélangeaient avec un peu de pistaches, ils en faisaient une bouillie. Ils avaient ainsi les calories nécessaires pour survivre. A partir de là, on a élaboré un produit de terroir nouveau mais en s'appuyant sur les ressources locales. Le produit s'appelle «jazarié», et c'est le fameux halqoum ou loukoum mais à base de carottes et de pistaches. Et aujourd'hui, c'est devenu un produit très recherché à l'international, vendu dans les grands magasins spécialisés, avec une Appellation d'origine (AOP).
Comment passer, selon vous, du développement local au développement solidaire de sorte que les petits agriculteurs, les petits producteurs locaux, puissent défendre leurs intérêts ?
Il y a un gros paradoxe en Algérie, surtout en milieu rural que je connais bien. Comment se fait-il que nos zones rurales qui ont une tradition de solidarité millénaire, notamment dans le domaine agraire – avec les pratiques traditionnelles de «touiza» –, n'arrivent-elles pas à s'organiser ? A quelques exceptions près – la Kabylie, les Aurès et un peu dans le Grand Sud –, la solidarité a totalement disparu. Je suis en train de travailler actuellement sur les organisations professionnelles de l'agriculture et de la pêche. Là aussi, les petits agriculteurs et les pêcheurs qui sont en train de s'appauvrir n'arrivent pas à s'organiser. Chacun tire de son côté.
Et ils se font doubler par les mandataires et par les commerçants véreux. Chez nous, tous les produits, qu'ils soient agricoles ou de la pêche, fonctionnent dans des filières qui sont complètement désarticulées. La filière est verticale, elle va de la semence, de la terre, du fond de la mer, jusqu'à la bouche du consommateur. A part quelques filières qui sont bien contrôlées par l'Etat comme les céréales et le lait, les autres sont toutes disloquées. C'est l'occasion pour ces petits producteurs de mettre en place de véritables filières très organisées. La condition de base, c'est l'organisation. L'autre condition de base, c'est la production en quantité, en qualité, en typicité et en authenticité. Il y a aussi l'aspect institutionnel. C'est l'organisation dans le cadre du développement local et de l'aménagement du territoire. Le développement local, c'est quoi ? C'est laisser les localités se développer elles-mêmes en les aidant un peu et en les intégrant dans une démarche d'aménagement du territoire. La notion de territoire est fondamentalement liée à la notion de terroir.
Quelle évaluation faites-vous du dispositif institutionnel de valorisation et d'accompagnement des produis de terroir ?
Il y a un décret qui a été promulgué par le ministère de l'Agriculture pour aller vers un processus de labellisation de produits de terroir. On va identifier les zones, les groupements, les produits. Il y a aussi un projet en partenariat avec l'Union européenne dans le cadre de programmes de coopération. Il consiste en une série d'actions de renforcement des compétences et de l'investissement. En principe, cela devrait être pris en charge par les Chambres d'agriculture. On a choisi trois ou quatre produits. Ils sont en train de travailler dessus. Il y a des experts qui viennent pour essayer de renforcer les capacités dans ce domaine-là.
Avez-vous été sollicité en tant qu'expert ?
Non. J'ai été invité une fois à un séminaire, mais je n'ai pas pu y aller. Sinon, j'ai lu cela dans les journaux comme vous. Je souhaite que ce processus réussisse. Mais la vraie question est de savoir si les producteurs de base sont prêts à jouer le jeu, comment sont-ils organisés ? Il faut renforcer de manière régulière et continue l'aspect professionnel, c'est le travail des Chambres. C'est l'intermédiaire entre les institutions publiques et les professionnels. Ils doivent s'organiser là-dedans. Mais les professionnels, s'ils veulent aller vers les produits de terroir, il faut qu'on les sensibilise et qu'on leur dise la vérité : c'est un parcours à respecter. C'est un travail harassant sur le plan technique.
Vous devez respecter un cahier des charges très contraignant. D'abord, il faut le comprendre, et ensuite l'appliquer. Cela concerne la semence, l'eau d'irrigation, les techniques de production, les problèmes sanitaires, hygiéniques, les problèmes de taille d'arbres, de récoltes, de pertes dans les récoltes, tous les aspects agronomiques. Après, vous avez la façon de récolter, comment transporter, stocker. Il y a aussi les aspects liés à la qualité intrinsèque du produit. Il doit être analysé par des laboratoires indépendants qui sont eux-mêmes contrôlés par d'autres laboratoires indépendants. Ce n'est pas un petit agriculteur qui va pouvoir assumer tout cela. Il faut une organisation professionnelle, encadrée, suivie par des instituts, des centres de recherche, des experts, des formateurs. C'est aussi un accompagnement dans la création d'entreprises, parce que ce sont des entreprises qui vont se créer. Donc, il y a aussi la question de la gestion, du management, de la commercialisation…
Malgré toutes ces difficultés, ces lacunes, les produits de terroir algériens ont-ils une chance ? Peuvent-ils se placer, à terme, sur le marché international ?
Si on fait le travail, c'est sûr qu'ils ont une chance, surtout que maintenant il y a des gens qui s'y intéressent, il y a des universitaires qui commencent à se pencher sur le sujet, il y a des porteurs de projets, Ansej et autres, qui s'orientent vers cette filière. Il y a aussi un marché qui s'ouvre. Et puis, il y a un appui institutionnel, il y a des programmes qui ont été mis en place. Seulement, il ne faut pas commettre l'erreur de se mettre à la place des gens.
La dynamique des produits de terroir et leur valorisation est une dynamique locale ascendante qui doit absolument émaner des gens eux-mêmes, d'une manière volontaire. Même en France, quand vous allez enregistrer votre produit, c'est une démarche volontaire. Ce n'est pas l'Etat ou la Direction de l'agriculture ou la Chambre d'agriculture qui le fait. Elle peut vous sensibiliser, vous former, vous accompagner, éventuellement vous financer, mais pas vous forcer la main. Si vous n'êtes pas convaincu, d'abord individuellement, et si vous n'êtes pas organisé collectivement, ça ne marchera jamais.


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